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bossuet.

raissent : Calvin, Luther, Bucer vivent dans des portraits où l’on reconnaît la main d’un ennemi, mais d’un ennemi singulièrement clairvoyant ; il y a surtout un admirable livre où les angoisses, les incertitudes de Mélanchthon sont exposées, et qui est d’un bout à l’autre une des plus belles études d’âmes qu’on ait faites.

Si Bossuet s’est attaqué surtout aux protestants, ce n’est pas parce qu’ils formaient le corps le plus nombreux et le plus redoutable parmi les ennemis de l’Église catholique : c’est aussi parce qu’il discernait dans les origines et dans le développement de la réforme un principe de libre examen subversif du christianisme et de toute religion fondée sur la tradition et l’autorité. Aussi tout son raisonnement tendait-il à faire apparaître le mal, en réduisant le protestantisme à l’individualisme effréne, rationalisme ou illuminisme ; et il ne lui donnait le choix qu’entre ces deux excès. Il sentait monter la révolte du sens individuel contre l’Église : il la devinait de tous côtés, il voyait naître les germes de ce qui fera le caractère intellectuel du xviiie siècle. Il faisait face bravement, et partout où il apercevait quelque trace de ces germes, il essayait de les étouffer. De là ses efforts contre Richard Simon, contre les libertins, contre Fénelon même ; de la sa défiance à l’égard de Malebranche, et ses sombres pronostics sur le péril du cartésianisme.

Il savait que toutes les pièces du dogme se tenaient : aussi se montrait-il intraitable contre tous ceux qui en altéraient quelque partie. Pendant cinquante ans il n’est pas d’erreur ou de révolte qu’il n’ait combattue de toute sa science et de toute son éloquence. Ce qu’il a écrit contre Richard Simon et contre Fénelon est trop lié à la théologie pour que je m’y arrête ici : je signalerai de préférence le petit traité sur la Comédie. débordant d’une âpre éloquence, et dans lequel une dure malédiction fait éclater l’opposition de l’esprit de Molière et de l’esprit chrétien.

Les Méditations sur l’Évangile et les Élévations sur les Mystères sont des écrits d’édification, et non de controverse : tout y est simple, lumineux, touchant ; la science se cache, la logique se tait ; le cœur déborde, et l’imagination s’étale. Bossuet repasse toutes les grandes scènes de la Bible et de l’Évangile ; il nous les présente avec tout ce que son esprit y attache de sens, y enferme de leçons ; mais ce sont des réalités pour lui que cette histoire juive et cette histoire évangélique : et tout le pittoresque de la religion se déroule à nos yeux, parle à nos sens. Ces réalités sont celles où se manifestent les desseins et les jugements de Dieu : leur image éveille en lui tous les sentiments dont son Dieu est l’objet, toutes les ardeurs de la foi, de l’espérance et de l’amour. Par là, plus largement encore que dans les Sermons, se répand la poésie, poésie de