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les grands artistes classiques.

et transcendants, une forme concrète, colorée, vivante, de fortes et nettes images, des symboles immenses et saisissants. Tandis que Bourdaloue procède à la façon des psychologues positifs du roman et du théâtre classiques, Bossuet a le tempérament des lyriques de notre siècle, qui enveloppent de leurs visions individuelles les plus larges lieux communs.

Les panégyriques et les oraisons funèbres de Bossuet ne sont en réalité que des sermons, où la vie d’un homme sert à illustrer l’instruction. Il a pris de ce biais ces discours d’apparat, ne pouvant concevoir un discours chrétien qui ne tendit à l’édification. Il ne s’est pas attaché à faire revivre les figures des saints, à retracer leur vie. Il a saisi dans leur caractère, dans leur activité, un trait, un caractère, qui mettaient bien en lumière une vérité importante du dogme ou de la morale : et c’est sur cette vérité qu’il prêchait son panégyrique. Le Panégyrique de saint Jacques est un sermon sur l’établissement du christianisme ; celui de sainte Catherine, un sermon sur la science. Même dans l’admirable Panégyrique de saint Bernard, ce n’est pas l’individu que fut Bernard, psychologiquement et historiquement, c’est le type idéal de l’enthousiasme ascétique, c’est, si l’on veut, l’image, lyrique encore plus que dramatique, du moine que Bossuet nous fait apercevoir.

Les oraisons funèbres sont des sermons, à tel point que le plan, les idées, parfois les expressions même sont communes au Sermon sur la Mort et à l’Oraison funèbre de la Duchesse d’Orléans. On peut dire que celle-ci est le type du genre : par une idée naturelle, et pourtant nouvelle, Bossuet fait de l’éloge des morts une méditation sur la mort. L’occasion du discours en devient la base : à la lumière de la mort Bossuet regarde les occupations de la vie, par la mort il juge et règle la vie. De là l’unité religieuse et esthétique à la fois des oraisons funèbres : de cette idée centrale la lumière se distribue à toutes les idées, les enveloppe et les lie.

Mais, en se proposant avant tout d’instruire des vivants à l’occasion des morts, Bossuet n’a pas oublié que son office était de faire entendre l’éloge des morts. Il s’en est acquitté avec sa loyauté et sa mesure ordinaires. Il a respecté toutes les convenances, que le lieu, le jour, l’auditoire, lui imposaient. Mais il a dit, ou fait entendre toute la vérité qu’il était capable de concevoir. Il a pu mal juger la révolution d’Angleterre, ou la révocation de l’édit de Nantes : il ne les a pas jugées autrement dans ses oraisons funèbres que dans ses autres ouvrages ; il n’a dit que ce qu’il a constamment pensé. Le genre lui a imposé de l’adresse, mais ni flatterie ni mensonge. Il a été candide et sincère en parlant de Cromwell comme de Condé. Il a même fait effort pour être bien informé : il n’est pas de ceux qui craignent de savoir, de peur de