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les grands artistes classiques.

feste du gallicanisme. On n’a donc, pour se faire une idée de sa parole, que les plans et brouillons qui représentent non sa prédication, mais la préparation de sa prédication. C’en est assez pour reconnaître une éloquence sans rivale.

Le fond des sermons de Bossuet est l’explication du dogme. Il se plaignait que déjà de son temps, les prédicateurs s’étendissent sur la morale en laissant le dogme de côté. Pour lui, il plaçait le dogme avant tout, comme source et fondement de la morale [1], et il s’attachait à expliquer, interpréter, justifier les mystères et les articles de foi, persuadé qu’un chrétien sait ce qu’il doit faire, lorsqu’il sait ce qu’il doit croire. La morale est la conséquence pratique du dogme : aussi ne faisait-elle jamais défaut, et le « catéchisme » de Bossuet aboutissait à ordonner la conduite en même temps qu’à éclairer la foi.

Comme l’ « utilité des enfants de Dieu » était sa grande règle, il choisissait les sujets de sermons et les applications du dogme, qui pouvaient avoir le plus d’utilité pour ses auditeurs. Sa parole s’appropriait très étroitement et très délicatement à son public [2]. Quand les heureux, les grands, les habiles l’écoutent, il prêche sur l’ambition, sur l’impénitence finale, sur l’honneur du monde, sur la justice : il expose la haute philosophie de la religion ou discute les objections raffinées des esprits forts. Dans les paroisses aristocratiques de Paris, à Saint-Germain, au Louvre, il ne se lasse pas de rappeler qu’il faut payer ses dettes, et qu’il faut faire l’aumône : il remet sans cesse sous les yeux des riches leurs créanciers et les pauvres. Parfois il prêchera pour le roi seul : sur les Devoirs des rois. Il fait son métier en conscience, sans brutalité et sans flatterie, sans complaisance et sans impertinence. Il ne craint pas de présenter la « face hideuse » de l’Évangile ; quoiqu’il soit rigoureusement orthodoxe, et point du tout janséniste, il a en horreur, autant que Pascal, les relâchements de la casuistique. Mais sa morale, tout austère, n’a rien qui effraie et décourage : il croit et il montre que, si Dieu a donné à l’homme ses commandements, c’est que l’homme peut les exécuter. Pour cela, il n’est pas besoin de fuir le monde : on peut se sauver dans toutes les conditions. Il n’est pas besoin de passer sa vie en prières, en jeunes, en sanctifications extraordinaires : remplir le devoir de son emploi sans amour-propre, pour le bien public et le service de Dieu, dispense de chercher des raffinements de dévotion, et suffit à faire une bonne et chrétienne vie.

Bossuet ne s’est pas amusé aux descriptions curieuses des

  1. Voyez le sermon sur l’Éminente dignité des pauvres dans l’Église.
  2. Comparez les deux Sermons sur la Providence.