Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/601

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
579
bossuet.

et d’une couleur chargée, va jusqu’au mauvais goût et aux trivialités répugnantes ; la science, de fraîche date, s’étale, subtile ou pédante, théologique ou profane ; il y a trop de citations plaquées, trop de raisonnements en forme, un mélange de sèche logique et de grande rhétorique. Surtout il y a trop de tout : les discours sont trop longs. L’expérience, le travail corrigèrent ces défauts peu à peu. A Metz, Bossuet s’appliqua aux Pères grecs, dont l’heureuse influence s’ajouta aux leçons de ses auteurs jusque-là préférés, saint Augustin, Tertullien, les âpres Africains, subtils et violents : Basile et Grégoire détendirent son éloquence et lui enseignèrent la puissance de la douce simplicité.

Quand il arrive à Paris, il est maître de son talent et de sa forme : cependant dans cette suite de chefs-d’œuvre qu’il accumule pendant onze ans, on peut distinguer deux manières : les sermons des premières années sont plus voisins des sermons de Metz, par la vigueur de l’appareil logique, par la chaude couleur du style. Vers 1666, cette éloquence s’atténue pour ainsi dire sans s’amoindrir, elle se subtilise, se fait plus délicate, plus limpide, plus dégagée d’éléments matériels, étonnante de lumière abstraite et de pureté intellectuelle. Enfin, lorsque, retiré à Meaux, il prêche dans son diocèse, aux bourgeois, aux paysans, aux communautés, à des humbles d’esprit et de fortune, alors ce grand orateur consomme le sacrifice de son éloquence. Alors il rappelle et met en pratique les enseignements de Vincent de Paul ; il fait taire sa science, et laisse couler de son cœur des homélies familières, exquises et efficaces dans leur petitesse volontaire.

Jamais il n’apprit par cœur ses sermons. Il se préparait fortement, rédigeait presque parfois le discours, relisait son canevas ou son brouillon avant de monter en chaire : là il s’abandonnait à l’inspiration, qui reprenait, complétait, rectifiait les formes préparées par la réflexion. Il ne répétait pas les sermons qu’il avait une fois prononcés : il revoyait les anciens plans, les rédactions primitives, pour les adapter au progrès de son esprit, ou bien au nouvel auditoire. Tant qu’il prêcha à Metz et à Paris, il ne se fia jamais à son expérience ni à sa facilité : et après quinze ans de prédication il ne faisait ni des plans moins exacts ni des brouillons moins complets. À Meaux seulement, il se contenta en général de quelques notes légères et rapides, et son éloquence se rapprocha de l’improvisation : le travail qui eut encore élevé son discours, l’eût écarté de la bassesse populaire que sa raison désintéressée avait élue pour idéal.

Ne prêchant que pour remplir un devoir du ministère ecclésiastique, Bossuet n’a pas recueilli lui-même ses sermons. Il n’en a publié qu’un seul, sur l’Unité de l’Église, qui était comme le mani-