son idéal pour les réaliser dans des œuvres parfaites. L’esprit l’a séduit d’abord, et tous les précieux, les Italiens, Voiture. Mais il en est revenu : les anciens l’ont ramené à la simple nature. Il les en a remerciés dans son Epître à Huet, attestant par son expérience la vérité des enseignements de Boileau. Même alors, surtout alors, il a travaillé : il s’était négligé quand il raffinait, mais l’exquise simplicité, il ne l’a jamais rencontrée que par un labeur obstiné. Ses Fables, où la poésie coule de source, ont été faites et refaites, jusqu’à ce qu’elles eussent trouvé leur perfection. On possède le Renard, les mouches et le hérisson, sous deux formes : il n’a passé dans la seconde rédaction que deux vers de la première.
Nous pouvons négliger tout le reste de l’œuvre de La Fontaine, les Contes, si ennuyeux et si tristement vides de pensée dans la grâce légère de leur style, tout le théâtre, les Poèmes sur le Quinquina et la captivité de Saint-Malc, les pièces détachées, les lettres. Ce n’est pas là qu’il faut chercher La Fontaine : s’il s’y trouve parfois, il y est moins complet, moins pur que dans ses Fables. Il a pu y semer des choses exquises : il n’y en a nulle part d’aucune sorte que les Fables ne nous présentent dans une intensité ou une perfection supérieures. Le principal intérêt de tous ces ouvrages, c’est de nous montrer souvent à l’état brut ou mal dégrossis encore des matériaux que le bonhomme recueille de ci de là, au hasard de ses expériences et de ses rencontres, et qu’il essaie, affine, concentre peu à peu, pour en faire ensuite les éléments de ses chefs-d’œuvre. Ils nous aident à comprendre aussi ce que l’unique et personnelle perfection des Fables nous dérobe : par où La Fontaine tient à la poésie légère de son temps. Les vers de sa jeunesse le rapprochent des Voiture, des Benserade, des Segrais, des poètes mondains, raffinés, spirituels et froids : voilà d’où il part, et peu à peu il se dégage de leur compagnie. Les œuvres de sa vieillesse, avec le XIIe livre des Fables, nous montrent comment il retourne au ton de la poésie mondaine, et redescend vers les Chaulieu, les Hamilton et les La Fare. Entre les deux groupes se placent onze livres de Fables, où l’individualité absorbe et domine toutes les influences du milieu et du moment.
Ici ma tâche est abrégée par l’excellente étude de Taine. Je n’ai qu’à y renvoyer le lecteur désireux de comprendre la substantielle solidité et l’art exquis des Fables. Elles sont d’abord un tableau de la vie humaine et de la société française. La Fontaine a l’in-