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les grands artistes classiques.

cour de Louis XIV, à laquelle rien ne donna plus d’éclat et de somptueux éblouissement. La représentation des ballets occupait une foule incohérente et bizarrement mêlée, artistes, danseurs, chanteurs, musiciens de profession, bourgeois amateurs, courtisans et princes, dames et demoiselles, Mlle  de Sévigné, Mme  de Montespan, Monsieur frère du roi, la reine, le roi lui-même, qui pendant vingt ans se fit honneur de figurer les Apollon et les Jupiter. Rien ne contribua plus à griser le Grand Roi que cette perpétuelle apothéose de sa grandeur et de ses faiblesses. Les ballets entrent dans la poésie par les livrets de Benserade [1], qui sont de ces œuvres de circonstance où revit l’âme d’une société.

Ces livrets étaient des programmes détaillés, qui contenaient la suite des entrées, les noms des danseurs, les vers des récits, des couplets sur chacune des personnes qui figuraient dans les diverses entrées. Benserade excelle à mêler le rôle et l’acteur, à décocher l’éloge ou l’épigramme avec une piquante délicatesse. Il étale, naturellement, la morale et les maximes de l’opéra, une éternelle invitation à aimer, que les sujets mythologiques amenaient. Il faut joindre ces livrets aux œuvres de Quinault, si l’on veut comprendre sur quel public tombèrent les furieux amants de la tragédie racinienne. En son genre — un genre brillant, sec et glacé, — Benserade est original, unique.


2. JEAN RACINE.


« Racine est-il poète ? est-il chrétien ? » se demandait un jour un Père Jésuite dans un discours latin qui fit quelque scandale. La vie de Racine, sans son œuvre, répond à la seconde question : elle aide même à répondre à la première.

Né à la Ferté-Milon, où il fut baptisé le 22 décembre 1639, fils d’un bourgeois du lieu, qui avait un emploi de finance, de famille janséniste par sa mère, Jean Racine resta orphelin de bonne heure, et fut élevé par sa grand’mère Marie Desmoulins. C’est elle qui. retirée à Port-Royal, fit recevoir le petit Racine à l’école des Granges, où il acheva son éducation. Il eut pour maîtres l’helléniste Lancelot, Nicole, Hamon, Antoine Le Maistre ; il leur dut

  1. Isaac de Benserade (1612-1691) débuta par de mauvaises tragédies. Il écrivit des vers de ballet de 1651 à 1681. Les principaux sont ceux de Cassandre, de la Nuit, du Triomphe de l’Amour. Bouffon sous Henri IV, alternativement pompeux ou burlesque, souvent obscène, le ballet devint sous Louis XIV à peu près exclusivement mythologique et galant. Œuvres, 1697, 2 vol. in-12. — À consulter : le P. Ménestrier, Des Ballets anciens et modernes, 1682, in-12; V. Fournel, les Contemporains de Molière, t. II.