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molière.

tent en face de Térence, d’Aristophane ou de Plaute ; mais leur exemple n’est pas suivi. C’est aux Italiens [1] qu’on va directement, et exclusivement. Leur exemple vaut assez pour imposer la prose à certains de nos auteurs, en dépit des exemples contraires des anciens. Intrigue, dialogue, types, comique, tout vient d’eux, et ceux qui essaient ou se vantent de faire des compositions originales [2], ne se distinguent pas du tout des traducteurs.

Les pièces sont très intriguées, les conversations longuement filées, les types soigneusement caractérisés et poussés tantôt dans la vulgarité réaliste, tantôt dans la fantaisie bouffonne, marchands, bourgeoises, entremetteuses, ruffians, capitans, parasites ; les situations et le ton vont aisément jusqu’à la plus grossière indécence. Cette comédie est sans rapport direct avec notre vieille farce française : les jeunes filles et l’amour, avec le dénouement du mariage, y tiennent une telle place que cela seul suffit à séparer les deux genres. Les rapports qu’on serait tenté de trouver entre eux s’expliquent soit par la nature et les origines de la comédie des Italiens, soit par l’étrange liberté des mœurs et du ton dans toutes les classes en France au xvie siècle.

Quelques pièces, comme celle des Contents d’Odet de Turnèbe (1584), valent par la franchise du style, qui dissimule le factice de ces arrangements de sujets étrangers. L’œuvre la plus considérable du xvie siècle, et par le nombre et par le mérite des pièces, est celle de Larivey : on a de lui neuf comédies, toutes prises aux Italiens [3]. Ses prologues mêmes ne sont pas originaux : de là vient qu’il signale les œuvres anciennes auxquelles chaque pièce doit quelque chose, et fait le silence sur les œuvres italiennes dont toutes ses pièces sont traduites. L’auteur italien faisait hommage aux anciens de leur bien, et l’auteur français l’a suivi : mais il n’a pas eu de contact direct avec eux. Ainsi, dans sa comédie des Esprits, Larivey n’a vu Plaute qu’à travers Lorenzino de Médicis, et la fusion de l’Aululaire et de la Mostellaria s’est offerte à lui toute faite dans l’Aridosio du prince florentin. Comme les tragédies du même temps, les comédies étaient représentées dans des collèges ou des hôtels princiers, et les recueils de Larivey furent sans doute imprimés sans qu’aucune des pièces qu’ils contiennent eût été jouée [4].

  1. Le Negromant de J. de la Taille, les Déguisés de Godard sont d’après l’Arioste.
  2. J. de la Taille dans les Corrivaux (1574) ; Odet de Turnèbe dans les Contents (1584).
  3. Dolce, N. Bonaparte, Lorenzino de Médicis, Grazzini, Gabbiani, Razzi, Pasqualiero, Secchi. Pierre de Larivey, né vers 1540, mourut après 1611. Il fut chanoine de Saint-Étienne de Troyes. Il traduisit les Facétieuses Nuits de Straparole (1572). Il était d’origine italienne.
  4. Éditions : Œuvres de Jodelle, J. de la Taille, etc. E. Fournier, le Théâtre fran-