Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/525

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
503
boileau despréaux.

raison l’admiration, l’imitation des anciens. Ils sont grands, parce qu’ils sont vrais : ils ont su voir, ils ont su rendre la nature. Et c’est la nature reconnue dans leurs œuvres, qui nous ravit. Ainsi ils peuvent nous enseigner à voir et à rendre. L’immortalité de leurs œuvres garantit l’excellence de leur méthode. Donc, l’antiquité, c’est la nature ; et imiter l’antiquité, c’est user des meilleurs moyens que l’esprit humain ait jamais trouvés pour exprimer la nature en perfection. Voilà comment Boileau achève l’œuvre commencée il y a plus d’un siècle par Ronsard, et fait triompher définitivement la doctrine qui voulait régler la poésie moderne sur l’idéal ancien, sur les modèles anciens. Il n’y parvient qu’en la réduisant au rationalisme. Du coup, l’idolâtrie servile du xvie siècle est transformée en estime raisonnable.

Mais il vaut la peine d’y faire attention pour consoler ceux qui ont cru le génie français opprimé par le culte de l’antiquité : la raison ne reçoit de loi que d’elle-même ; et, du moment que c’est la nature qu’on aime dans l’antiquité, il pourra bien arriver que parfois (comme dans l’épopée ou l’églogue) on reçoive pour vraie nature ce qui n’existera pas hors des œuvres anciennes ; mais il arrivera bien plus communément qu’on trouvera dans les œuvres anciennes la nature contemporaine, crue éternelle ; et si elle n’y est pas, on l’y trouvera cependant. En d’autres termes, le xviie siècle fera les anciens à son image, plus encore qu’il ne se fera à l’image des anciens, et — son absence de sens historique venant en aide à son rationalisme — il modernisera l’antiquité.

Il résulte de ce qui précède que la perfection de la poésie ne consiste pas dans la nouveauté : et Boileau signale au contraire la nouveauté comme une des plus dangereuses séductions qui puissent égarer un poète. Il ne faut se soucier que de la vérité : les âmes et les arbres d’aujourd’hui sont pareils aux âmes et aux arbres d’il y a deux mille ans. Mais l’originalité jaillira de l’étude sérieuse du modèle, et de l’effort consciencieux pour y égaler l’imitation. De là vient qu’on peut reprendre sans scrupule les sujets des anciens : une fable de Phèdre, une tragédie d’Euripide, une comédie de Plaute. L’invention demeure entière dans de vieux sujets. On conçoit aussi pourquoi il n’y a rien de servile dans le respect de Boileau pour les œuvres consacrées par le temps. Le consentement universel est signe pour lui de vérité : si trente siècles et dix peuples ont adoré Homère, c’est que ces siècles, ces peuples ont reconnu la nature dans Homère ; et il y a chance qu’elle y soit, si tant d’individus si différents de mœurs et de goût l’y ont vue.

L’imitation des anciens fournit à Boileau le moyen de transformer en forme d’art l’observation de la nature. Elle l’aide à