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les grands artistes classiques.

il répète : « Tout doit tendre au bon sens », il n’étouffe pas plus l’imagination qu’un peintre qui recommande à ses élèves de faire « d’après nature ». Il proscrit la fantaisie, l’esprit : il exige la probité, l’oubli de soi-même, la concentration de toutes les forces de l’esprit, de toutes les ressources du métier dans l’expression du pur caractère de l’objet. Ce « naturalisme », c’était précisément ce qui manquait aux victimes des Satires, dont l’ordinaire défaut était de déformer la nature ou de l’exclure.

L’imitation de la nature est le principe de la beauté dans la poésie : mais quelle nature imitera-t-on ? jusqu’à quel degré sera poussée l’imitation ? Le tempérament de Boileau — les satires pittoresques en donnent la preuve — le poussait à répondre : toute nature est objet de l’imitation artistique ; et l’imitation n’a pas d’autre limite que l’identité avec l’objet. Mais son goût a refréné son tempérament. Sous l’influence de certains préjugés contemporains, il a posé certaines bornes étroites au domaine, et certaines restrictions fâcheuses à l’exactitude de l’imitation artistique. Cependant, si l’on ne s’arrête pas aux détails, on voit que son but reste en somme l’équivalence de l’image à l’objet, la vraisemblance (au sens étymologique), l’illusion. Voyez comment il loue la vérité des personnages dans Térence :

Ce n’est plus un portrait, une image semblable:
C’est un amant, un fils, un père véritable.

Seulement, l’art ayant pour objet un plaisir, la ressemblance doit aller jusqu’où le plaisir cesse; l’imitation d’une réalité hideuse ou horrible doit être agréable. Sinon, on sort de l’art.

En général, aussi, le champ de l’imitation n’est borné que par les caractères intrinsèques du vrai et du rationnel. Il n’y a pas de science du particulier, ni de l’exception : il n’y a vérité qu’où il y a universalité et permanence. La nature que la poésie imitera sera donc la nature commune, celle qui est partout et toujours, les objets qui existent en vertu de ses lois éternelles, non pas les accidents de l’individualité, ni les bizarreries des phénomènes monstrueux. Ainsi la tragédie ne peindra pas les individus, Néron ou Auguste, mais des types humains dans les apparences Auguste ou Néron. On remarquera, en passant, que sous ce principe tombent l’histoire, expression des formes passagères, perception des différences et non de l’identique, et le lyrisme, manifestation du subjectif, émanation de la plus intime individualité. Il y avait moyen de les sauver, en vertu même du naturalisme : mais ni Boileau ni le xviie siècle n’y ont songé.

Dans son naturalisme, Boileau trouve le moyen de fonder en