Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/509

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
487
les mondains.

emplois, à la cour, en province, aux champs, à la comédie, au sermon, dans l’intimité domestique, dans les relations sociales, dans la représentation des grandes charges : les impressions journalières de Mme  de Sévigné font un des documents d’histoire les plus sincères qu’on puisse consulter. On a peut être trop admiré jadis les lettres étourdissantes où elle déploie sa virtuosité : la lettre aux épithètes, la lettre des foins, etc. Ce sont là des tours de force ou des gentillesses qui n’ont guère de conséquence. Mais les ardeurs de sa dévotion maternelle, ses sensations de la campagne, ses jugements littéraires, ses inquiétudes métaphysiques, ses tableaux de mœurs, voilà tout autant de catégories de lettres, richement fournies, et dont l’avenir ne baissera pas le prix.

Mme  de Sévigné écrivait naturellement, ce qui ne veut pas dire négligemment. Il y a peu de lettres qui soient des effusions toutes spontanées et irrésistibles de l’âme, comme celles qu’elle écrit à sa fille dans la première angoisse des séparations. Le plus souvent, même avec sa fille, Mme  de Sévigné surveille son inspiration, choisit, et fait effort pour dégager les qualités de son esprit, ou l’intérêt des choses. Elle avait passé par l’Hôtel de Rambouillet, où l’on se piquait de bien faire les lettres. Entre deux ordinaires, elle fait sa provision d’idées, de faits, elle leur donne forme en son esprit, et, quand elle se met à sa table pour écrire, elle peut laisser trotter sa plume. Encore soyez sûr qu’elle l’a bien en main, qu’elle la surveille, et ne la laisse pas s’emporter au hasard. Elle écrit cette langue riche, pittoresque et savoureuse, que parleront tous ceux qui auront formé leur esprit dans la première moitié du siècle, et sans quitter jamais le simple ton de la causerie, elle y mêlera les mots puissants, qui évoquent les grandes idées ou les visions saisissantes.

Mme  de Maintenon [1] a l’air d’être la raison même : elle l’est devenue en effet ; mais il y avait en elle une imagination hardie, une ardente sensibilité, qu’elle a lentement, douloureusement domptées. Elle, la raison même, Racine était son poète, tandis que Mme  de Montespan goûtait mieux Boileau : ces préférences mettent à nu le fond des âmes.

La vie, qui d’abord lui fut dure, l’obligea à se retrancher tout

  1. Françoise d’Aubigné (1635-1719), mariée à seize ans à Scarron, veuve en 1660, elle fonde Saint-Cyr en 1686. — Éditions : Ed. La Beaumelle, très falsifiée, 1752 et 1756 ; éd. Lavallée, encore défectueuse, Paris, 1854 et suiv., 8 vol. in-18. Geffroy, Mme  de Maintenon d’après sa correspondance authentique, Hachette, 1887, 2 vol. in-16. Lettres inéd., dans les Mém. de la Soc. d’archéol. de Genève, t. XIX, p. 117-134. et dans Baudrillart, Philippe V et la cour de France. — À consulter : Gréard, Notice dans ses Extraits, Hachette, 1885. in-12. Brunetière, Revue des Deux Mondes, 1er février 1887. De Boislisle, Paul Scarron et Françoise d’Aubigné, (Rev. des Quest. hist., juillet et octobre 1893). D’Haussonville et Hanotaux, Souvenirs sur Mme  de Maintenon, 3 Vol. in-8, 1902-1905.