qu’il intrigue vigoureusement, il joue au prélat persécuté, au martyr, il étale ses angoisses pastorales, d’être loin de son troupeau, de le savoir délaissé, sans guide et sans gardien ; il envoie en France des mémoires, des lettres, où respire l’âme évangélique des Athanase et des Grégoire : le merveilleux comédien !
La paix des Pyrénées le convainquit que la partie était irrémédiablement perdue. Il ne s’obstina pas : il ne chercha qu’à tomber avec grâce — en se faisant le moins de mal possible. Il s’assure sous main des intentions du roi : alors, sans marchander, sans stipuler, sans se défier, il écrit au roi une lettre où il abandonne tout ; il se démet de l’archevêché de Paris. Il a bien joué le coup de la grandeur d’âme : les compensations attendues lui sont données, de riches abbayes, dont Saint-Denis.
Il rentre en France, et sa volonté embrasse la seule vie qui pût conserver sa gloire. Il est difficile, quand on a perdu de telles parties, de vivre, de vieillir avec dignité : Retz y réussit. Il lui suffit de se donner l’air de renoncer à tout, de sembler ne garder du passé ni une espérance, ni un regret, ni un ressentiment. Il s’appliqua à payer ses dettes énormes ; il jouit de la conversation des honnêtes gens ; il écouta Boileau, Molière, qui parfois vinrent lui lire leurs œuvres nouvelles. De temps à autre, il allait à Rome, pour le service du roi, et montrait dans les négociations, dans les conclaves, que son génie ne s’était pas affaibli. Il n’aurait pas été fâché de persuader à Louis XIV qu’il était capable d’être un excellent ministre des affaires étrangères : mais il ne marqua cette secrète espérance que par l’empressement de son service. Enfin, quand il fut tout à fait certain que sa vie était finie, il se démit du cardinalat : humilité que le public admira, et qui découvrit au malin Bussy le secret du personnage. Retz est bien cornélien : toute sa vie d’un bout à l’autre est une œuvre de volonté. Rien ne le retient : religion, piété, intérêt public, probité, ce ne sont pour lui que des moyens. Rien ne l’égare aussi, pas même ses vices, ni son amour-propre, qui servent ou qui s’effacent à propos. Et par Retz se révèle l’affinité de l’héroïsme cornélien avec la virtù italienne : il est sublime d’absolue immoralité dans la grandeur d’âme continue.
Ses Mémoires sont une des occupations décentes de ses dernières années : ils suffiraient à montrer que le personnage n’a pas changé. Retz se joue impudemment de la vérité : il dit ce qu’il veut qu’on croie, il prépare sa figure pour l’immortalité. Aucun mensonge ne lui coûte pour se faire valoir : il fausse les dates, dénature ou suppose les faits. N’ayant pas, au reste, la vanité professionnelle de l’écrivain, il n’en a pas les scrupules d’art, et il copie indifféremment les documents qu’il a sous les yeux, journaux ou pamphlets,