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les grands artistes classiques.

événement considérable, et par leur fond, et par leur forme. Toutes mondaines d’origine, elles manifestent le pur génie du monde et sa naturelle direction. De la littérature dont on l’amuse, le monde a extrait deux formes qui n’existaient pas isolément, a constitué pour son divertissement deux genres qu’il a rendus ensuite à la littérature : les Maximes et les Portraits. Or que sont ces genres essentiellement ? Ils servent à décrire et à définir : leur contenu, ce sont les types et les lois. Ce sont donc deux genres éminemment scientifiques, des instruments d’abstraction et de généralisation : ils donnent les résultats de cette étude de l’homme qui est l’affaire de tout le siècle, avec une exacte précision, en éliminant tout ce qui est invention d’artiste, fantaisie, roman, effet sensible ou pittoresque pour le plaisir. Nulle part mieux que dans la création de ces deux genres, l’esprit mondain du xviie siècle n’a marqué son identité intime avec le rationalisme scientifique.

Aussi je ne suis pas de ceux qui estiment les Maximes de La Rochefoucauld comme un de ces chefs-d’œuvre dont la date et l’occasion font l’importance, et qui s’amoindrissent en vieillissant. Il ne faut pas les confondre avec les recueils plus ou moins ingénieux et factices qui en sont comme la postérité. Pour La Rochefoucauld, chacune de ses réflexions représente une collection de faits, et nous en peut suggérer une analogue. C’est vraiment encore aujourd’hui un précieux recueil, pour qui ne se contente pas de le lire une fois. Autour de ces maximes, chacun de nous peut distribuer son expérience, en prendre conscience, et la préparer pour l’usage en la classant. C’est un guide qui nous désenchante, même de nous-mêmes. Le remède à la naïveté, mais le remède aussi à la vanité, est là, dans ce petit volume presque tout entier excellent et substantiel, dont ceux-là seuls médiront, qui n’auront pas su s’y connaître.


2. LES MÉMOIRES : RETZ.


Le xviie siècle a gardé le même août que le xvie pour les Mémoires, et pour les mêmes raisons. Mais il s’y ajoute alors une raison nouvelle, la curiosité de démêler les variétés des sentiments et des mobiles, la curiosité de l’homme en soi : et tous les mémoires — ou les meilleurs — prennent alors tout naturellement la couleur d’un document psychologique. La délicatesse de la culture mondaine affine l’esprit et le style des auteurs, et de là vient, avec la richesse du genre, l’agrément des œuvres : il en est peu que la forme au moins ne fasse lire ; et beaucoup sont vraiment et solidement exquises. Je ne m’attarderai pas cependant à les étudier une