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la première génération des grands classiques.

Écritures ; ils ne pensaient pas non plus travailler au profit de l’irréligion. Pascal croit servir la vérité du Christ ; il l’affaiblit. Car il la livre aux discussions des profanes. Il tire hors de l’École et de l’Église les matières théologiques ; il propose à la raison laïque de décider sur tel dogme, telle doctrine, entre tels et tels théologiens. D’autres appliqueront la même méthode à tout le dogme, et poseront la question entre la raison elle-même et la foi. Pascal énumère les sottises des casuistes, et les confond par l’extravagance qu’y découvre le sens commun : d’autres étaleront les sottises des Pères, les sottises de la Bible, et ruineront la religion en l’opposant au sens commun. Pascal a fait tort à la religion, parce que toutes les polémiques violentes où les théologiens la donnent en spectacle au public sont mauvaises pour elle ; et il lui a fait tort plus qu’un autre, parce qu’il a employé à traiter des problèmes théologiques des armes toutes laïques, les seuls moyens et la seule autorité de la raison.

Mais c’est cela même qui fit le succès du livre, et qui en fait encore aujourd’hui la beauté supérieure. Ne parlant qu’à la raison, il a fondé solidement ses arguments sur des bases éternelles, sur les principes essentiels de la moralité et de l’intelligence humaines, sur notre impérissable sens du vrai et du bien : il a dû pour cela sonder ces questions théologiques qu’il débattait, jusqu’à ce qu’il eût découvert le fond solide des lieux communs où la vie morale de l’homme est nécessairement comprise. Par là ce pamphlet est demeuré un des livres que lira toujours quiconque, chrétien ou non, cherchera sa règle de vie : il a réalisé cette loi des grandes œuvres d’art, de dépasser les circonstances contingentes qui lui ont donné l’être, et de revêtir un intérêt absolu, universel.

Toutes les sortes d’éloquence y sont renfermées, comme a dit Voltaire : vigueur de raisonnement, ou de passion, ironie délicate ou terrible. Villemain disait qu’il estimerait moins les Provinciales si elles avaient été écrites après les comédies de Molière : on comprendra ce jugement paradoxal, si l’on regarde avec quelle puissance expressive, quel sens du comique, et quel sûr instinct de la vie, sont dessinées les physionomies des personnages que Pascal introduit ; deux pères jésuites surtout, subtils et naïfs, celui dont l’ample figure occupe la scène de la 5e à la 10e lettre, et celui dont la vive esquisse illumine la 4e Provinciale. Il y a là un art singulier de traduire les idées abstraites en actes, en gestes, en accents, en un mot une réelle force d’imagination dramatique.

Mais ce qu’il y a de plus admirable dans l’œuvre, c’en est la simplicité, l’objectivité : toute la personne de l’auteur s’efface de l’œuvre en la construisant ; elle est toute ramassée dans l’expression, absente volontairement de la matière. Tout est subor-