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la première génération des grands classiques.

la révélation, en matière de théologie ; la raison même, au progrès de laquelle il croit et travaille, n’a point ici de méthode qui vaille.

Cependant il mène une vie assez mondaine, à Clermont et à Paris. La mort de son père a relâché autour de lui les liens de la famille. Gilberte est en Auvergne, mariée à un magistrat. Jacqueline, dès la mort de son père, a déclaré sa volonté d’entrer à Port-Royal. Chose étrange : c’est Pascal qui s’y oppose. Il y eut là une lutte pénible, que compliquèrent des questions d’intérêt : enfin Jacqueline l’emporta et devint la sœur Sainte Euphémie (1653). Resté seul et libre, il se répandit davantage dans le monde. De ce temps serait ce Discours des passions de l’amour qu’on lui attribue : certaines propositions et le ton général de l’ouvrage sentent l’épicurien ; cette fois, le jansénisme de Pascal fut sérieusement en danger. Il songea même à se marier. C’est dans cette dissipation mondaine qu’il rencontre et fréquente des libertins, tels que Desbarreaux et Miton : mais l’homme qui eut alors sur lui le plus d’influence, ce fut le chevalier de Méré [1], un fat de beaucoup d’esprit et d’une intelligence singulièrement pénétrante, qui lui fournit le principe de quelques-unes de ses vues les plus profondes.

Une grande question semble avoir dès lors fortement préoccupé son intelligence : il cherchait une certitude, et si vraiment, comme le disaient les théologiens, il n’y en avait pas hors de la vérité revélée. C’est là ce qu’il demandait aux philosophes, à Épictète, à Montaigne.

Mais surtout il aspirait au bonheur : il le réclamait ; il en demandait la voie aux philosophes ; il le cherchait dans la science, par l’exercice de la pensée ; il le rêvait au moins dans la vie mondaine, par la jouissance des passions. Un accident de voiture, où il fut sauvé par miracle, auprès du pont de Neuilly, très certainement aussi l’évolution naturelle de ses idées [2], l'impossibilité d'atteindre le bonheur permanent, infini où il aspirait, et enfin l’insoluble mystère — psychologique ou théologique — de la grâce amenèrent la crise définitive : cette nuit du 23 novembre 1654, nuit d’extase et de joie, où face à face avec son Dieu, Pascal se donne tout à lui, et pour toujours. L’engagement en est consigné dans cette prière enflammée que Pascal depuis porta toujours sur lui, cousue dans la doublure de son habit. Cette fois il avait, non pas exécuté définitivement l’abdication de son intelligence, mais trouvé la vérité supérieure qui pouvait mettre l’unité dans sa vie intellectuelle et morale, la vérité où étaient compris toute certitude et tout bonheur.

    poésie. Après la mort de son père, elle entra à Port-Royal, le 4 janvier 1652. Elle fut des plus opposées au formulaire. — À consulter : Lettres, opuscules et mémoires de Mme Perier et de Jacqueline, etc., par P. Faugère, in-8, Paris, 1845.

  1. Lettres, 2 vol. in-12, Paris, 1689.
  2. Sur le rôle de la raison de Pascal dans sa conversion, cf. le traité de la Conversion du pêcheur, et la Vie écrite par Mme Périer.