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pascal.

en son temps un établissement modèle [1]. Par une contradiction qui n’est qu’apparente, ces contempteurs de l’esprit, humain, et qui rangeaient l’amour de la science parmi les concupiscences mortelles, donnaient aux enfants la plus solide instruction. Ils mettaient la piété au-dessus de tout, mais ils s’efforçaient de former la volonté et le jugement, afin qu’on pût faire en ce monde tous les devoirs d’un état honnête. Leur principe, excellent et fécond, était que toutes les connaissances où consiste la matière de l’instruction ne sont pas à elles-mêmes leur but, mais sont seulement des moyens d’élever, de fortifier l’intelligence. Rien de plus large que l’esprit de leur enseignement, rien de meilleur, pour le temps, que leurs méthodes, dont leurs rivaux, et surtout l’Université, s’inspirèrent bientôt. Ils contribuèrent ainsi très sensiblement à élever le niveau intellectuel de leur époque. Par leur science et leur culte de l’antiquité latine, ils servirent efficacement la cause de l’art classique ; par leur connaissance du grec, qui nulle part ne fut enseigné comme à Port-Royal, ils travaillèrent à mettre l’art classique en contact avec les plus parfaits modèles, à le rapprocher de la plus simple beauté ; ils lui offrirent un moyen de s’élever encore au-dessus de lui-même. En un mot, ils n’ont pas fait Racine, mais ils l’ont formé : c’est là qu’il a pris son goût, son sens exquis de l’hellénisme, c’est à eux d’abord qu’il doit de n’avoir pas sombré dans le bel esprit précieux. À ce seul titre, le jansénisme occuperait une grande place dans le mouvement intellectuel du xviie.

Mais il a eu des écrivains, de bons et solides écrivains, un seul grand, mais tel que ni en ce temps-là ni en aucun temps il n’y en a de supérieur. Antoine Arnauld [2], l’intrépide docteur, jusqu’à quatre-vingt-deux ans disputa contre toutes les « erreurs » dont il estimait la foi menacée, erreurs des jésuites, erreurs des protestants, erreurs de Malebranche. Ce farouche théologien était un lettré délicat ; la longue lettre qu’à soixante-dix-huit ans, exilé, errant, aveugle, il dicta pour défendre Boileau devant Perrault fait grand honneur à son esprit. Mais il n’eut ni la volonté ni la puis-

  1. Il y a quelques élèves dès 1637 autour de M. Singlin. Les petites écoles se développent à Paris en 1646, puis à Port-Royal des Champs.
  2. L’avocat Arnauld, qui plaida à la fin du xvie s. contre les jésuites, eut 22 enfants, parmi lesquels une fille fut la mère des trois Le Maître, 2 autres furent les mères Angélique et Agnès, abbesses de Port-Royal, et 5 autres y furent religieuses. Parmi les fils, Arnauld d’Andilly (Journal, Jouaust, 1892, in-8) eut 5 filles à Port-Royal, et 3 fils (dont le marquis de Pomponne) ; un autre fut l’évêque d’Angers, et le plus jeune, vingtième enfant de l’avocat, fut le grand Antoine Arnauld (1612-1694). Il donna en 1643 son traité de la Fréquente Communion, fut censuré par la Sorbonne en 1656, s’en alla en exil en 1678, et y mourut. Lettres, Nancy, 1729, 9 vol. in-12. Œuvres. Lausanne. 1775, 45 vol. in-4.