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pascal.

solitaires sont de nouveau dispersés et les écoles fermées en 1656. L’assemblée du clergé de France a rédigé (1656) un formulaire qui condamne les cinq propositions : Port-Royal refuse obstinément de le signer ; d’où redoublement de la persécution : en 1660, on ferme définitivement les écoles ; on chasse les confesseurs, les pensionnaires, les novices de la maison ; on use toute la science, toute la patience des docteurs et de l’archevêque de Paris contre l’inflexibilité des religieuses ; on finit par distribuer les douze plus obstinées dans des communautés plus soumises (1664) ; à peine arrache-t-on quelques signatures, bientôt rétractées ou expiées dans les larmes. En 1665, on transporte aux Champs toute la communauté rebelle de Paris, et l’on donne la maison du Faubourg Saint-Jacques à des religieuses soumises. En 1666, on emprisonne M. de Saci. Après une trêve d’une dizaine d’années, la lutte reprend en 1679 : Arnauld est obligé de fuir aux Pays-Bas. Louis XIV a pris en haine ces indociles, dont la résistance choque son instinct d’absolue autorité. En 1708, la communauté de femmes est supprimée par une bulle du pape ; en 1709, les religieuses sont expulsées par le lieutenant de police ; enfin Port-Royal des Champs est détruit (1710), sa chapelle rasée, ses sépultures violées.

On n’en avait pas fini avec le jansénisme : on l’avait décapité, non pas supprimé. On avait réussi à lui retirer cette hauteur morale, cette largeur intellectuelle qui en avaient fait l’expression supérieure du christianisme français : on l’avait réduit à une bigoterie étroite, farouche et stérile. Mais il subsista à travers tout le xviiie siècle, surtout dans l’Université et dans le Parlement ; la bulle Unigenitus (1713) ranima pour un demi-siècle la querelle, où les deux adversaires s’avilissaient et avilissaient la religion devant les incrédules charmés et railleurs : de jour en jour croissaient la fureur, l’imbécillité des deux partis ; et de la même source qui avait produit les Provinciales et les Pensées, sortaient les miracles de Saint-Médard et le scandale des billets de confession. Ainsi se prolonge le jansénisme, ayant parfois sa revanche dans ses malheurs, comme le jour où il fit décréter l’expulsion des jésuites, et faisant sentir sa main dans les affaires religieuses jusqu’au début de la Révolution : même au début de notre siècle, il n’a pas été sans influence sur certains doctrinaires libéraux et gallicans.

La grandeur du jansénisme est tout entière dans sa morale. Comment cette dure et désolante doctrine, qui niait la liberté, et vouait l’immense majorité des hommes à la damnation éternelle, sans espoir et sans retour, a-t-elle été un principe actif, efficace d’énergie et de vertu ? comment a-t-elle excité les âmes aux sublimes efforts dans les rudes voies de la perfection chrétienne ? Il serait long de l’expliquer : mais j’ai déjà fait remarquer que