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pascal.

pour rendre impossibles les manifestations éclatantes d’irréligion, les indécentes parodies où se plaisaient les Roquelaure et les Matha.

Puis le libertinage fut contenu et vaincu par des doctrines philosophiques et religieuses qui donnèrent à la raison les légitimes satisfactions qu’elle réclamait.

Le cartésianisme fit des chrétiens apparents, en faisant des philosophes qui croyaient à Dieu, à l’âme immortelle, à la supériorité infinie de la nature spirituelle sur la nature corporelle (ce qui établissait une hiérarchie très nette des plaisirs). Mais surtout le catholicisme s’adapta aux nécessités de la lutte : et contre l’indépendance superbe de la raison, qui faisait le péril, il opposa fortement les doctrines de la grâce et de la Providence. Par l’une, il soumettait à Dieu la vie intérieure de l’individu, par l’autre, la conduite universelle du monde ; par l’une et l’autre, il faisait échec à la raison et la courbait sous une force divine, impénétrable et irrésistible.

Ainsi furent suspendues pour trois quarts de siècle les tendances qui composèrent l’esprit de l’âge suivant. Mais si l’effort du catholicisme fut efficace, c’est qu’il avait repris force et vitalité dans la crise du xvie siècle ; et surtout, c’est qu’il avait poussé en France le rameau vigoureux du jansénisme.


2. LE JANSÉNISME ET PORT-ROYAL.


Le jansénisme appartient à peu près exclusivement à la France et aux Pays-Bas catholiques. C’est aux Pays-Bas qu’il naquit, dans l’esprit du pieux évêque Jansénius, au temps où les âmes inclinaient de toutes parts vers le stoïcisme philosophique ou chrétien, au temps où François de Sales, sous la douceur aimable de son langage, rétablissait l’impérieuse austérité de la morale évangélique. Jansénius tira de saint Augustin une doctrine rigoureuse, assez approchante du calvinisme : tandis que l’orthodoxie romaine admettait une coopération mystérieuse de la liberté humaine à la grâce divine dans l’œuvre du salut [1],Jansénius [2] supprimait le libre arbitre pour donner tout à la grâce, et enseignait la prédestination, qui sépare les élus et les damnés de toute éternité par un décret absolu et irrévocable de Dieu.

  1. L’Église laissait à la liberté des fidèles l’option entre les systèmes qui concilient le libre arbitre et la grâce, celui de saint Thomas, où domine la grâce, et celui du jésuite Molina, où domine la liberté. Elle n’imposait aucune de ces explications.
  2. Jansénius, évèque d’Ypres, 1585-1638. Son fameux ouvrage, intitulé Augustinus, fut publié en 1640 par ses amis.