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la première génération des grands classiques.

et dans un Osman (impr. 1656), a tiré des effets tout à fait saisissants et pour ainsi dire romantiques, de la juxtaposition, même de la fusion d’une familiarité pittoresque avec l’atrocité tragique : il a l’imagination exubérante et déréglée, outrant la force et tombant parfois dans le ridicule et le puéril.

Rotrou [1] est à lire, même après Corneille. D’abord égaré dans les extravagances tragi-comiques, il s’est assagi [2], mûri, élevé, grâce surtout aux exemples que lui fournissait son grand rival. Saint-Genest (1646) et Venceslas (1647) sont deux belles choses : Saint-Genest [3], avec son mélange de scènes familières et de scènes pathétiques, peinture du monde du théâtre et de l’héroïsme chrétien, a des parties qui continuent dignement Polyeucte. Venceslas [4] est une forte étude d’une âme violente, qui arrive à la générosité par la volonté : ce vieux roi Venceslas qui condamne son fils par justice, et ce fils qui accepte sa juste condamnation, font une situation vraiment cornélienne. De Corneille, sans doute, il a appris à imiter librement, à marquer d’une conception originale les sujets qu’il n’inventait pas, à dégager les études d’âmes et de passions que la pittoresque comédie des Espagnols enveloppait. Saint-Genest est à Rotrou comme le Cid à Corneille ; la crise morale de Ladislas est à lui, dans Venceslas ; et dans Laure persécutée, il a tiré d’une sèche indication de l’original un des plus beaux développements d’exaltation sentimentale qu’il y ait au théâtre.

  1. Jean Rotrou, né à Dreux en 1609, n’avait pas vingt ans quand il composa sa première œuvre, l’Hypocondriaque ; il dit en 1634 avoir fait déjà trente pièces. Il succéda sans doute à Hardy comme poète de l’Hôtel de Bourgogne. Puis il fut un des cinq auteurs de Richelieu. Il trouva un protecteur dans le comte de Belin, un seigneur très passionné pour le théâtre. Il eut quelques relations avec l’Hôtel de Rambouillet. En 1639, il devint lieutenant au bailliage de Dreux : il mourut en 1650, d’une maladie épidémique qui ravageait la ville. Dans sa fin, comme dans sa vie, presque tout ce qu’on raconte est légendaire : il n’y a de réel que son courage et son dévouement en face du danger.

    Édition : Viollet-le-Duc, 5 vol. in-8, 1820-22. — A consulter : Jarry, Essai sur les œuvres dramatiques de Jean Rotrou, in-8, 1868. Person, Histoire du véritable Saint-Genest ; Histoire de Venceslas de Rotrou, in-8, Paris, 1882. H. Chardon, la Vie de Rotrou mieux connue, in-8, Paris, 1884. L. Curnier, Étude sur Jean Rotrou, in-8, Paris. 1885. Stiefel, Unbekannte italienische Quellen J. de Rotrou’s, Oppeln, 1891, in-8 ; Ueber die chronologie von J. de R.s dramatischen Werken, Berlin, 1894, in-8. (Zeitschrift f. franz. Sprache und Lit.). Vinney, Deux sources inconnues de R., Dôle, 1891, in-8. Steffens, J. de R. als Nachahmer Lope de Vega’s, Oppeln, 1891, in-8.

  2. Il a écrit vingt et une pièces en huit ans (1628-36), et quatorze seulement dans les quatorze dernières années de sa vie (1637-1650).
  3. Tiré de Lope de Vega, Lo fingido verdadero, et du P. L. Cellot, jésuite, Sanctus Adrianus, martyr. — Rotrou doit aussi Cosroès au P. Cellot.
  4. Tiré de Rojas, No hay ser padre siendo rey.