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corneille.

de vrai dans les Romains de Corneille que ce qui est cornélien, et non romain, c’est-à-dire le mécanisme moral.


2. PSYCHOLOGIE DU HÉROS CORNÉLIEN.


Nous sommes donc toujours ramenés à ceci que la tragédie de Corneille tend à la vérité humaine des caractères, comme à sa fin essentielle. Cette vérité a parfois été méconnue. C’est qu’on songe toujours trop à Racine en parlant de Corneille. La nature que peint Racine est plus vraie pour nous : ne pourrait-on pas dire que cette vérité date précisément de Racine ? Il a aperçu et décrit des états d’âme qui sont devenus de plus en plus fréquents et universels, des sensitifs et des impulsifs, des nerveux et des femmes. Corneille est d’un autre temps, il a et il exprime une nature plus rude et plus forte, qui a longtemps été la nature française, une nature intellectuelle et volontaire, consciente et active. En son temps surtout, c’était la vérité : il y a une harmonie admirable entre l’invention psychologique de Corneille, et l’histoire réelle des âmes de ce temps-là : même les femmes sont peu féminines ; leur vie intérieure est plus intellectuelle que sentimentale. Et, je l’ai déjà dit, Descartes confirme pleinement Corneille.

Voilà comment Corneille a peint si peu de pures passions : il a peint des exaltés, des fanatiques, mais toujours des passionnés intellectuels, qui voient leur passion, la raisonnent, la transforment en idées, et ces idées en principes de conduite. Jamais ce ne sont des inconscients et des irresponsables. Il a peint des femmes toujours viriles, parce que toujours elles agissent par volonté, par intelligence, plutôt que par instinct ou par sentiment. La femme selon la définition moderne, lui est inconnue : c’est Racine, le premier, qui l’a « constatée ». Rien de plus caractéristique, à cet égard, que sa théorie de l’amour : c’est la pure théorie cartésienne que j’ai expliquée plus haut. L’amour est le désir du bien, donc, réglé sur la connaissance du bien. Une idée de la raison, donc, va gouverner l’amour. Ce que l’on aime, on l’aime pour la perfection qu’on y voit : d’où, quand cette perfection est réelle, la bonté de l’amour, vertu et non faiblesse.

Première conséquence : on ne saurait parler du conflit du devoir et de l’amour, dans le Cid par exemple ; ou, du moins, ce conflit n’a pas le caractère qu’on dit. En effet, l’amour de Rodrigue pour Chimène, et de Chimène pour Rodrigue, est légitime, étant fondé sur une connaissance véritable : ni l’un ni l’autre ne peut donc y renoncer sans injustice. Ni l’un ni l’autre aussi ne songe à y