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la première génération des grands classiques.

ments d’une journée : mais l’idéal où l’on tend, c’est de réduire la durée de l’action à la durée de la représentation. Ainsi l’établissement des unités fut en réalité une victoire du réalisme sur l’imagination : et voilà pourquoi elles s’implantèrent chez nous, et non en Espagne, ni en Angleterre.

Partout, lorsqu’on discute sur les unités, c’est bien la question du réalisme de la mise en scène qu’on discute : et chez Tirso et chez Sidney nous en avons la preuve. Chez nous, dès le xvie siècle, Scaliger avait posé nettement le problème, lorsqu’il ne traitait des unités qu’à propos de la vraisemblance. Tout érudit qu’il était, il ne suivait pas Aristote, mais la raison, lorsqu’il impliquait dans l’unité de temps l’unité de lieu dont la Poétique n’avait rien dit, et lorsqu’il réduisait l’unité de jour à cinq ou six heures pour la rapprocher autant que possible de la durée réelle du spectacle. Ces règles donc, qui sont devenues cause de tant d’invraisemblances dans la décadence du théâtre classique, se sont imposées comme condition nécessaire de la vraisemblance : on en méconnaîtrait le caractère si l’on perdait de vue un seul moment à quel état de la mise en scène elles se rapportent. Il suffit de lire la Pratique du théâtre pour s’apercevoir que D’Aubignac bataille contre une forme de drame qui est celle des mystères, et pour comprendre que, dans les règles aristotéliciennes, le rationalisme classique a trouvé un moyen d’éliminer de la scène les derniers vestiges de la fantaisie jadis naïve du moyen âge. Il s’en est servi pour resserrer le poème dramatique dans l’espace et dans le temps, c’est-à-dire pour placer l’intérêt dans l’action morale et dans le mouvement des caractères plutôt que dans l’agitation des corps. On peut dire que par les unités l’esprit classique s’est construit la forme littéraire la plus apte à l’exprimer ; et sans doute il n’était pas nécessaire que Corneille écrivit le Cid en 1636 : mais du moins, pour l’extraire du drame de Guillen de Castro, il lui fut utile de se sentir lié par ces lois nouvelles qui obligeaient de concevoir la tragédie autrement que comme un roman découpé en scènes.


3. LE CID.


Pour estimer le Cid à sa valeur, il faudrait voir ce qu’étaient les œuvres au milieu desquelles il apparut. Grâce à Hardy et à Mairet, le public était en train de se passionner pour le théâtre, et le poème dramatique passait insensiblement au premier rang des genres littéraires. La gloire et le profit s’y rencontraient : aussi les jeunes auteurs se portent-ils avec ardeur de ce côté. Autour de