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la tragédie de jodelle à corneille.

sa Didon : le quatrième livre de l’Énéide y est fort intelligemment mis en scène. Rien du style ni de la poésie, ni du pittoresque de Virgile ne subsiste ; mais l’action, la vie, la lutte, Hardy a senti tout cela : il dégage très justement les situations, et, dans son plat jargon, il fait dire aux personnages précisément ce qu’il faut qu’ils disent. Sa psychologie, très grossière, très sommaire, est du moins naturelle et saine. Il a été un charpenteur plutôt qu’un écrivain de drames ; mais il a eu le très juste instinct de ce que le théâtre français devait être : des situations faisant saillir des caractères.

M. Rigal a conjecturé que les tragédies de Hardy étaient les œuvres de sa jeunesse, composées et jouées pendant le séjour de sa troupe en province.

Il semble que ces pièces aient eu du mal à s’établir sur la scène de l’Hôtel de Bourgogne, et que le poète ait dû chercher autre chose pour satisfaire son public. Ce public, très grossier et très bruyant, composé de marchands, d’artisans, de clercs, de commis, d’écoliers, de laquais et de filous, ce public aimait le mouvement scénique, les actions embrouillées et surprenantes : Hardy lui fournit un divertissement à son goût par ses pastorales et ses tragi-comédies ; il s’appropria ces deux genres dont les poètes érudits de la Pléiade lui donnaient l’idée, comme ils lui avaient donné celle de la tragédie. C’est lui qui donna vraiment la vie à la tragi-comédie : il y mit tout, le romanesque qui’il excluait de la tragédie, toute l’irrégularité qu’il y modérait, et il la fit si bien agréer de son public, par la complication accidentée des intrigues, qu’elle parut, avec la pastorale, jusque vers 1640 devoir exclure la tragédie de la scène. Exploitant les anciens et les modernes, les poètes, les historiens, les romanciers, mais, manifestement, aimant mieux découper en scènes une action racontée, et choisir lui-même les éléments du drame, que de calquer son œuvre sur un modèle artistement construit, sans idolâtrie érudite ni engouement précieux, indépendant de Sénèque, très affranchi des Italiens, et tout à fait ignorant des dramaturges espagnols, Hardy, avec ses six ou sept cents pièces, fut pendant une trentaine d’années le fournisseur habituel de l’Hôtel de Bourgogne.

Il réussit à tirer le théâtre français de son obscurité, et du mépris où le tenaient les classes aristocratiques. Son succès engagea les poètes de la société polie à porter aux comédiens des poèmes délicatement écrits. Théophile leur donna son illustre Pyrame et Thisbé (1617-1619, ou 1621-1623). La pastorale française trouve alors ses chefs-d’œuvre, avec les Bergeries de Racan (vers 1623), la Silvie de Mairet (vers 1626) [1], et l’Amaranthe

  1. Éditions : Silvie, éd, Marsan, 1906, in-8o ; Silvanire, éd. Otto, 1890 ; Sophonisbe,