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la première génération des grands classiques.


1. LA TRAGÉDIE AU xvie SIÈCLE.


Là comme ailleurs, la Renaissance française est une répétition de la Renaissance italienne [1]. Pendant le xve siècle, l’Italie avait eu des drames latins, fort inspirés de Sénèque, Erasme, en traduisant en latin Hécube et Iphigenie à Aulis, mit la tragédie grecque à la portée des lettrés. En 1515, Trissino donna sa Sofonisba, la première tragédie en langue vulgaire. Vinrent ensuite les Dolce, les Cinthio, les Ruccellai, les Alamanni [2], qui s’essayèrent à calquer de leur mieux les formes de l’art antique. Ils reprirent ou constituèrent un certain nombre de sujets tragiques, et il est notable que ces sujets sont précisément ceux que notre tragédie à ses débuts traita le plus volontiers : Sophonisbe. Cléopâtre, Dudon, Médée, Antigone, etc. Ces tragédies furent d’abord seulement imprimées ; mais, en 1541, ou joua à Ferrare, devant le duc, l’Orbecche de G. -B. Cinthio.

Les choses se passent en France à peu près comme en Italie : les humanistes tournent en élégant latin les œuvres les plus fameuses du théâtre grec ; ils s’exercent à les imiter dans des compositions originales. Les collèges leur fournissent un public, des acteurs : et voilà comment Michel de Montaigne note parmi les faits mémorables de sa jeunesse d’avoir, à l’âge de douze ans, vers 1545, « soutenu les premiers personnages ès tragédies latines de Buchanan, de Guérente, et de Muret, » qui se représentaient « avec dignité » au collège de Guyenne, sous l’habile direction du principal André Gouvéa. De ces pièces, le Jephté de Buchanan et le Jules César de Muret ont joui au xvie siècle d’une prodigieuse renommée, que la première justifie parfois en partie.

En même temps, les traducteurs, parmi tant d’œuvres anciennes qu’ils transportaient dans notre langue vulgaire, ne négligeaient pas les poèmes dramatiques : Lazare de Baïf [3], en 1537, traduisit l’Électre de Sophocle et plus tard l’Hécube d’Euripide. D’autres s’attaquèrent à Iphigénie à Aulis, à Hélène. Après le manifeste de Du Bellay, presque avec les Odes de Ronsard, apparut la Cléopâtre de Jodelle [4], qui fut jouée par l’auteur et ses amis à l’Hôtel de

  1. À consulter : Faguet, la Tragédie française au xvie siècle, in-8, Paris, 1883. Pour tout le xvie et le xviie s., les frères Parfaiet, Histoire du Théâtre Français, 15 vol. in-12, 1735 et suiv. ; G. Lanson. Études sur les origines de la tragédie classique en France — Comment s’est opérée la substitution de la tragédie aux Mystères et Moralités (avec un catalogue des représentations) ; Idée de la tragédie en France avant Jodelle, Revue d’histoire littéraire, 1903-1904.
  2. L’Antigone d’Alamanni fut jouée devant la cour de François Ier.
  3. Cf. I. Pinveri, Lazare de Baïf, 1900.
  4. Étienne Jodelle (1532-1573), né à Paris, fit jouer sa Cléopâtre captive en 1552. Il mourut à quarante ans, usé et misérable. — Édition : Marty-Laveaux, 2 vol. in-8, Paris, Lemerre, 1868-70.