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la langue française au xviie siècle.

Et puis, il y a dans une langue, comme dans un corps vivant, un point de maturité où les formes générales, la structure intérieure s’arrêtent, où les organes sont complets en nombre et en développement, où, jusqu’à la dissolution finale, la somme des changements doit demeurer inférieure à la somme des éléments fixes : c’était ce point que la langue avait atteint au xviie siècle, Vaugelas le comprenait : et de fait, pour la langue, Victor Hugo est moins loin de Malherbe que Ronsard de Villon.

Enfin Vaugelas avait très bien déterminé l’élément stable d’une langue, celui que tous les efforts de nos contemporains sont à peine arrivés à modifier, la construction grammaticale ; et il s’est efforcé de la déterminer par un lin discernement du bon usage.

Il avait si bien mis en train le Dictionnaire, que sa mort ne perdit pas l’entreprise. A travers toutes les oppositions et tous les quolibets, en dépit de Mlle  de Gournay et de Scipion Dupleix, défenseurs du vieux langage, en dépit de Saint-Evremond et de Ménage, critiques d’humeur plutôt que de conviction, l’Académie poursuivit son Dictionnaire. Hors d’elle et en elle, toute une postérité de Vaugelas, Ménage, le P. Bouhours, Th. Corneille, s’appliquaient à faciliter sa besogne, à éclaircir, à épurer, à régler le vocabulaire et la syntaxe. L’Académie vit même une concurrence s’élever de son sein : Furetière gagna la Compagnie de vitesse, et publia en 1690 son Dictionnaire ; on l’avait au préalable assez brutalement exclu. Enfin le fameux et tant attendu Dictionnaire des quarante parut en 1694 : dans les éditions postérieures que la Compagnie en donna, et qui ont été toujours sa principale occupation, il faut, citer la seconde (1718), la quatrième (1762) et la septième (1879) [1].

Le Dictionnaire de 1694 donne à la fin du siècle le résultat du travail du siècle. Un peu trop savant pour l’usage des honnêtes gens, puisqu’il reproduit le plan du Thésaurus grec de Henri Estienne et classe les mots par racines et dérivés, il ne contenait que la langue de la société polie, les termes d’usage universel, qui sont les signes nécessaires de ces idées qu’on pourrait appeler le domaine commun des intelligences. L’abondance des termes de chasse, de blason et de guerre marque le caractère aristocratique

  1. Éditions : Dictionnaire de l’Académie, 2 vol. in-fol., Paris, 1694 ; Furetière, Dictionnaire universel, 2 vol. in-fol., Rotterdam, 1690 ; Saint-Evremond, la Comédie des Académistes (au t. I de ses Œuvres) ; Dupleix, la Liberté de la langue française dans sa pureté, in-4, 1651 ; Ménage, Observations sur la langue française, in-12, Paris, 1673 ; Bouhours, Doutes sur la langue française, in-12, Paris, 1674 ; Th. Corneille, Observations sur les remarques de M. de Vaugelas, 2 vol. in-12, Paris, 1705 ; Opuscules sur la litt. fr. par divers Académiciens (Dangeau, Choisy), in-12, Paris, 1754. — Pour la suite du travail académique au xviiie siècle, Régnier-Desmarais, d’Olivet, Duclos.