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la préparation des chefs-d'œuvre.

faitement et ses décisions firent loi. « Si félicité n’est pas français, écrivait Chapelain, il le sera l’année prochaine : M. Vaugelas m’a promis de ne pas lui être contraire, quand nous solliciterons pour lui. »

En 1647, Vaugelas donna ses Remarques sur la langue française, qui étaient comme le registre de ses observations. C’est un recueil de décisions particulières, précédées d’une préface où l’auteur explique ses principes et sa méthode. Il se pose nettement en continuateur de Malherbe, lorsqu’il se propose de perfectionner la langue française, « de la rendre vraiment maîtresse chez elle, et de la nettoyer des ordures qu’elle avait contractées ». Comme Malherbe aussi, il ne reconnaît qu’un critérium en fait d’élocution : l’usage. Rien de plus rationnel, dès qu’on ne voit dans une langue qu’un système de signes ; la qualité essentielle d’un signe, c’est d’être reconnu par ceux qui l’emploient. Vaugelas subordonne donc à l’usage, et même y réduit l’analogie et le raisonnement : l’usage seul est souverain. Mais il y a un bon et un mauvais usage : qu’est-ce que le bon usage ? « C’est la façon de parler de la plus saine partie de la cour, conformément à la façon d’écrire de la plus saine partie des auteurs du temps. » On pourrait demander : qui définira ces plus saines parties et de la cour et des auteurs ? Sans doute elles se détermineront négativement : ce seront celles en qui l’on ne trouve point trace de provincialisme ou de langage technique. Mais une des règles de Malherbe, et la plus claire, la plus bienfaisante aussi, est perdue de vue : l’usage du peuple (dans les régions de la France où la langue française est indigène ; ainsi, à Paris). Vaugelas, très positif et très utilitaire, donne toute autorité à l’usage des honnêtes gens, puisqu’après tout, la langue ainsi constituée ne doit servir qu’aux honnêtes gens pour causer ou pour écrire. Cela tend à séparer les classes, il faut bien le dire, et à couper les derniers liens qui pouvaient rattacher la littérature au peuple.

Si Vaugelas établit la souveraineté de l’usage, il est bien clair qu’il n’a pas songé à fixer la langue. Le xviie siècle n’a pas commis l’erreur qu’on lui prête trop souvent : Vaugelas a pris soin de l’instruire, qu’une langue vivante est toujours en changement. Aussi Vaugelas n’espère-t-il pas que ses principes durent au delà de « vingt-cinq ou trente ans ». Mais s’il ne se flattait pas d’arrêter la langue, il prétendait la régler : et s’il prétendait la fixer, ce n’était pas dans la multiplicité de ses formes, c’était dans la loi de son évolution et dans ses traits généraux. « Je pose des principes, disait-il, qui n’auront pas moins de durée que notre langue et notre empire. » Il fermait l’âge des révolutions et des coups d’État en fait de langage : il retirait aux individus, pour les remettre à la communauté des esprits, la lente élaboration, le renouvellement incessant de la langue.