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la langue française au xviie siècle.

raire qu’une sélection de gens d’esprit, amateurs de bonne langue et de bons ouvrages.

À peine constituée, la nouvelle société se demanda ce qu’elle allait faire dans ses séances hebdomadaires du lundi : ce n’était pas pour causer évidemment qu’un corps officiel pouvait se réunir. On résolut de faire des discours : Racan parla contre les sciences, Chapelain contre l’amour, Gombauld sur le Je ne sais quoi. Cela ne menait à rien. Un autre avait mieux rencontré, quand il haranguait sur le dessein de l’Académie, et sur le différent génie des langues. Peu à peu l’Académie prit conscience de son rôle : elle entama l’examen des écrits de ses membres pour en tirer des règles et des exemples de l’emploi de la langue ; elle fit à Malherbe mort l’honneur d’examiner certaines de ses odes. Enfin ce fut Chapelain qui, s’inspirant de l’esprit des statuts, trouva le seul ouvrage que quarante personnes pussent faire ensemble pour « l’embellissement de la langue » : un Dictionnaire. Il en dressa le plan, et l’on se mit au travail. Dès le mois de juin 1639, on avait fort avancé la lettre A.

L’Académie, en entreprenant le Dictionnaire, et en projetant une grammaire, retirait à la société polie la direction du mouvement de la langue. Mais elle était en réalité, elle fut pendant tout le siècle l’expression très fidèle de l’esprit qui prévalait dans la société polie ; et si l’on voulait se convaincre qu’il ne faut pas juger tout le siècle par ses grands écrivains, on n’aurait qu’à regarder comment ils furent toujours, par le nombre, une minorité, et, par le goût, une opposition dans l’Académie. Cependant cette compagnie qui n’était pas exclusivement littéraire, l’était plus que n’importe quel salon, et ainsi dans l’élaboration du vocabulaire, elle donna aux écrivains plus d’autorité que le monde ne leur en donnait jusque-là. Cela ne changea pas le sens de l’évolution du langage, mais plutôt prévint certains excès et certaines déviations : on consulta moins les fantaisistes répugnances de la délicatesse précieuse, et davantage les exigences réelles de la pensée aspirant à se rendre intelligible.

L’Académie, pour venir à bout de son dessein, se trouva bien d’avoir Vaugelas [1]. C’était un gentilhomme savoisien, simple et bonhomme, fort gueux, et à qui la pauvreté arracha quelque jour d’équivoques démarches : du reste, il n’avait de passion que pour la langue française. Il s’acquit la réputation de la connaître par-

  1. Claude Favre. sieur de Vaugelas (1585-1650), sixième fils du président Favre, fut chambellan du duc d’Orléans.

    Éditions : Remarques sur la langue française, in-4, Paris, 1647 ; Quinte-Curce (traduction), in-4. Paris, 1653, (édit. de Conrart el Chapelain), 1659 (édit. de Patru)