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littérature héroïque et chevaleresque.

manuscrit d’Oxford, est antérieure à l’année 1080 [1] est à peu près la plus ancienne de nos chansons de geste, comme elle en est la plus belle. Si l’on ne regardait que l’apparence, on aurait là le spectacle unique d’un genre débutant par son chef-d’œuvre. Mais en réalité la Chanson de Roland est un terme, plutôt qu’un commencement. Il y avait des siècles que l’épopée française était née, lorsque l’écriture sauva ce chef-d’œuvre. Quand avait-elle donc commencé ? Dès la ruine de la civilisation romaine, après que les Francs eurent pris possession de la Gaule. L’histoire de Clovis, de ses ancêtres et de ses descendants, dans Grégoire de Tours et dans Frédégaire, est en grande partie poétique [2], et l’on y reconnaît les débris d’une épopée mérovingienne. Une vie de saint [3] nous a conservé quelques débris d’un poème populaire qui célébrait une victoire peut-être fabuleuse de Clolaire II et de Dagobert sur les Saxons. Autour de ce Dagobert, qui fut le plus puissant des successeurs de Clovis, la fermentation épique fut intense, comme l’atteste encore une chanson de geste du xiie siècle dont il est le héros [4].

Puis l’imagination populaire, puissamment excitée par les événements dont les Carolingiens furent les acteurs plus ou moins glorieux, transforma leur histoire à sa mode en un vaste corps de traditions poétiques. Depuis Charles Martel, le vainqueur des Sarrasins, jusqu’à Louis III, le vainqueur des Normands [5], tous les Pépins, les Charles et les Louis, selon le mot du poète saxon[6], ont été chantés concurremment avec les Clotaires et les Thierrys de l’âge précédent.

  1. Le seul poème complet antérieur sans doute à cette forme du Roland est le Pèlerinage de Charlemagne à Jérusalem (vers 1060), poème d’un caractère assez spécial. Je m’en rapporterai pour toute la littérature du moyen âge au tableau chronologique dressé par M. G. Paris (op. cit., 2e édit., p. 245-255).
  2. Chants épiques, bien entendu, non poème unique et suivi : naissance de Mérovée ; exil de Childéric ; mariage, baptême, guerres de Clovis ; la biche qui lui découvre un gué ; les murs croulant au son des trompettes ; meurtres des chefs francs, etc
  3. La Vie de saint Faron, par Hildegaire, évêque de Meaux (mort en 875). Hildegaire tire tout ce qu’il dit du poème populaire, d’une vie perdue de saint Chilien, rédigée au viiie siècle. Voici les premiers vers du poème :

    De Chlotario est canere rege Francorum,
    Qui ivit pugnare in gente Saxorum.

    (Cf. cependant F. Lot, Romania, t. XXIII.)

  4. M. Darmesteter (De Floorante vetustiore gallico poemate, Paris, 1877) a démontré que Floovent dérivait de Flodovinc, Chlodovinc, et signifiait le descendant de Clovis, comme Mérovingien, descendant de Mérovée. Ce descendant est Dagobert. M. P. Rajna prend le nom en un sens plus étroit, le fils de Clovis, probablement Clolaire
  5. La victoire remportée par Louis III à Saucourt sur le pirate Hastings est le sujet du poème de Gormont et Isembart, dont un fragment de 600 vers a été retrouvé en 1876.
  6. Anonyme, qui mit en vers la vie de Charlemagne par Eginhard (fin du ixe siècle).