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la préparation des chefs-d'œuvre.

comprendre ni Corneille, ni Pascal, ni Bossuet, mais qu’au sortir des « banalités » de Balzac on est tout prêt ?

On s’explique ainsi la gloire de cet homme, devant qui s’inclinaient et Descartes et Corneille, et dont les moindres pages faisaient événement dans l’Hôtel de Rambouillet. Seuls les jansénistes — trop instruits pour estimer son fond, trop peu artistes pour sentir sa forme — le tenaient en médiocre estime.


2. CHAPELAIN.


Ce beau monde, dont Balzac faisait l’éducation, était assez disposé, tant par ignorance que par suffisance, à prendre son seul plaisir pour critérium de la valeur des œuvres littéraires : principe séduisant, mais dangereux. Cette tendance fut enrayée pour un temps par la critique.

Une des préoccupations des humanistes, au siècle précédent, avait été d’étudier la structure des œuvres antiques ; et l’on en avait réduit la beauté en formules, en recettes, en règles. En chaque genre, une sorte de canon idéal avait été établi, d’après les écrivains reconnus pour excellents, et d’après les principes qu’on recueillait d’Aristote et d’Horace. La Poétique de Scaliger est le chef-d’œuvre de ces codifications dogmatiques dont la principale erreur était de prendre les règles pour une méthode infaillible, pour les conditions nécessaires et suffisantes de la perfection littéraire. Le culte souvent aveugle des formes anciennes était le dogme fondamental de cette critique : et elle parvint à l’imposer à la légèreté indépendante de la société polie. l’homme qui nous représente éminemment l’influence des doctes sur le monde, l’homme qui fit plus que personne pour opérer la transformation des théories savantes en préjugés mondains, fut le bonhomme Chapelain [1], qui se place entre Ronsard et Boileau, comme ayant fait faire un progrès décisif à la doctrine classique.

  1. Biographie : Jean Chapelain (1595-1674), fils d’un notaire, se fit connaître d’abord par la Préface de l’Adone, puis par des Odes, et par son poème épique de la Pucelle, dont les 12 premiers chants parurent en 1656, au bout de vingt ans de travail. Il était très considéré de Richelieu, et il fut de même en grand crédit auprès de Colbert, dont il fut le principal agent dans la répartition des libéralités royales entre les principaux savants et écrivains de France et d’Europe ; très écouté à l’Hôtel de Rambouillet, il eut jusqu’à la fin, en dépit de Boileau, l’estime et l’amitié de Montausier, de Retz, de Mme de Sévigné. Sensible à la flatterie, et fort rancunier, il était du reste bon homme et serviable. Il avait de riches pensions, mais il y a sans doute beaucoup de légende dans ce qu’on dit de son avarice.

    Éditions : la Pucelle (les 12 derniers chants), Orléans, Herluison, 1882, in-16. Lettres, éd. Tamizey de Larroque, Doc. inéd sur l’Hist. De France, Paris, 1880-1883, 2 vol. in-4. — À consulter : Fabre, Chapelain et nos deux premières académies, Paris, 1890.