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la préparation des chefs-d'œuvre.

passé sa vie à souffler des idées creuses. On ne le lit plus : et l’on a tort. Il vaut mieux que sa réputation, et il a rendu en son temps de grands services.

La prose, l’élocution pratique avait moins souffert que la poésie des fantaisies du bel esprit. Elle s’était polie, allégée ; elle avait pris de la délicatesse, de la rapidité. Les précieuses écrivaient des lettres ; la phrase de Mme de Montausier, ou de Mme de Sablé, ou de Mme de Maure, est encore un peu compassée, cérémonieuse, à longue queue : cependant avec elles, et surtout avec Voiture, qui a laissé échapper de délicieux billets, on sent que l’on marche vers l’excellent style, sans relief et sans couleur, mais d’un trait si juste et si fin, que Bussy et Mme de la Fayette emploieront.

Balzac, qui n’est que par accident un précieux, Balzac a invente une autre phrase, qui s’est imposée à l’admiration des gens du monde et à l’usage des genres littéraires : il a inventé ou, si vous voulez, réinventé, en la reprenant chez Du Vair, la phrase oratoire, ample, rythmée, sonore, imagée. Il a passé sa vie à forger de belles phrases, comme on n’en avait jamais fait en notre langue. Il a manqué de naturel : c’était inévitable ; mais il en a manqué surtout par scrupule d’artiste, qui ne veut laisser dans son œuvre aucune négligence. Il a enseigné aussi les harmonies secrètes du langage : celles qui résultent de l’unité du ton, de l’égalité, de la continuité des développements. Il a enseigné à faire dominer une idée, une couleur : il a montré comment les transitions servent à lier et à fondre. Il a cherché le mot propre, le mot fort, avec une opiniâtreté méticuleuse. Sa règle n’était pas la bienséance mondaine, mais l’effet d’art ; il effarouchait quelquefois les ruelles par l’emploi de certaines vulgarités pittoresques, qu’il se refusait à supprimer ; si elles étaient amenées, et si elles étaient fondues, il estimait qu’on n’avait rien de plus à demander. Son rôle a donc été fort analogue à celui de Malherbe : en face de la strophe oratoire préparée par celui-ci, il a construit la période éloquente, et Boileau avait le droit d’écrire : « On peut dire que personne n’a jamais mieux su sa langue que lui, et n’a mieux entendu la propriété des mots et la juste mesure des périodes. » Et vraiment, quand on lit certaines pages de Balzac, dans le Socrate chrétien par exemple, on sent que la forme de Bossuet est trouvée. Il ne reste plus qu’à la remplir.

    être la tempête qui en 1627 faillit le briser. Il y eut à coup sûr quelque déception d’ambition dans sa retraite philosphique.

    Éditions : Lettres (1er recueil), 1624, in-8, Paris. Le Prince, 1631, in-4. Socrate chrétien, 1652, in-8. Œuvres, Paris, 1663, 2 vol. in-fol. Lettres inédites de Balzac (Doc. Inéd. Sur l’Hist. De France) au t. I (in-4) des Mélanges historiques. — À consulter : E. Roy, De J.-L. Guezio Balzac en contra dom. Joannem Gulonium disputante, Hachette, 1892, in-8.