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attardés et égarés.

jour qu’il n’en fallait plus, et que toute la mythologie avait fait son temps dans la poésie. Le paganisme est un amas de fictions impossibles à croire, dont les cuistres farcissent leurs cervelles : le vrai, le réel (on ne dit pas le beau), c’est le christianisme. On disait aussi que l’histoire de France devait être plus intéressante pour des Français, et que les hauts faits des Grecs ou des Romains ne pouvaient valoir pour nous le récit des luttes et des périls qui avaient fondé ou affermi la monarchie.

Tout cela était fort bien : mais il fallait du génie pour traduire ces idées, et c’est ce qui manqua. L’histoire fut travestie par ces poètes autant qu’elle l’était par les historiens : imaginez le Louis XIV de la Place des Victoires, ou les personnages des batailles de Le Brun dans des architectures et des jardins tels que ceux de Versailles, et vous aurez l’Alaric de Scudéry. Les sentiments sont en harmonie avec le costume : cela n’est d’aucun temps. Il n’y a pas un de ces poètes qui sache ce que c’est qu’un homme, et soit capable d’en faire vivre un dans son poème. Ils font ronfler des lieux communs, ou aiguisent des sentences.

Ils n’entendent rien au genre qu’ils traitent, et en cela ils continuent Ronsard et annoncent Boileau. Pour Scudéry, l’épopée est un roman historique, en vers, ayant d’un bout à l’autre un sens allégorique, qui donne la moralité de l’œuvre. La prise de Rome sera la victoire de la raison sur les sens avec le secours de la grâce. Voilà où en est Scudéry, et où ils en sont tous, et cette idée éclose dans les écoles philosophiques de la Grèce, pieusement recueillie par les chrétiens pour absoudre les chefs-d’œuvre parfois embarrassants de l’épopée païenne, sera consacrée par le docte père Le Bossu dans un inepte traité que Boileau estimera.

Les épopées du xviie siècle ne sont que de mauvais romans ; par contre, les romans [1] sont des épopées qui ne sont pas bien bonnes. Le roman ne suivit pas tout à fait la voie où l’avait mis D’Urfé : de pastoral il se refit héroïque, et mêla les deux traditions de l’Amadis et de l’Astrée. La raison en est facile à entendre : la vie pastorale, au sortir du xvie siècle, avait enchanté une génération fatiguée, qui aspirait au repos ; mais on eut bientôt assez du repos, quand les forces revinrent, avec elles la fièvre du mouvement et de l’action.

  1. Gomberville, Polexandre, 1632 (éd. Complète, 5 vol. in-8, 1637). La Calprenède, Cassandre, 10 vol., 1644-50 ; Cléopâtre, 12 vol., 1647 et suiv. ; Pharamond, 12 vol., 1661-1670 (les tomes VII-XII sont du sr. d’Ortigue de Vaumorière). Mlle  de Scudéry, Artamène ou le Grand Cyrus, 1649-53, 10 vol. ; Clélie, 1656-60, 10 vol. — À consulter : Rathery et Boutron, Mlle  de Scudéry, Paris, in-8, 1873. Kœrting, Geschichte des franz. Romans im XVII Jahr., Leipzig und Oppeln, 1885-7, 2 vol. in-8. A. Lebreton, le Roman français au xviie siècle, Paris, 1890, in-18. Brunetière, Études critiques, etc., t. IV, V. Fournel, Littérature indépendante, Didier, 1862, in-16.