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la préparation des chefs-d'œuvre.

Réaux, il semble qu’il n’ait pas le sens commun, il a la mine d’un fermier. Il bégaie et n’a jamais pu prononcer son nom : car par malheur l’r et le c sont les deux lettres qu’il prononce le plus mal. » Ses distractions, sa naïveté qui prêtait aux mystifications, ont fait la joie de son siècle, et lui ont fait une légende. Racan est comme une première épreuve, plus grossière, de La Fontaine ; c’est un La Fontaine moins spirituel, plus ignorant, plus paresseux, dont les vers sont faits de génie et tout gonflés de sentiment. Son ignorance et sa paresse le préservèrent des pointes ; et même il n’accepta des enseignements de son maître que ce qui ne coûtait pas plus de peine à pratiquer qu’à négliger. Jamais Malherbe ne put gagner sur lui qu’il composât avec lenteur et correction, qu’il polit laborieusement les vers que son inspiration première avait jetés. Racan appartint toute sa vie à l’école du négligé facile, et continua tout seul la tradition du lyrisme élégiaque des Montchrétien et des Bertaut. C’est un vrai poète (il en avait l’âme et l’oreille), un amant de la campagne, qui dans le plus faux des genres, dans la pastorale dramatique, a su jeter quelques impressions profondément sincères, un doux mélancolique qui a pleuré la fuite des choses et le néant de l’homme en strophes lamartiniennes, du milieu desquelles parfois s’enlèvent puissamment de magnifiques images, des périodes nerveuses et fières.

À côté de Racan, combien minces et combien glacés paraissent tous les limeurs précieux, même Théophile, ce brillant et fantasque génie, qui préféra à la simplicité laborieuse de Malherbe la fausseté non moins laborieuse des Marino et des Gongora. De sa tragédie de Pyrame et Thisbé (probablement 1625) date le règne du goût précieux dans la poésie. Malherbe est vaincu : sa versification seule prévaut. Les Voiture, les Malleville, les Sarrazin, les Godeau, les Saint-Amant, les Scudéry, les Scarron même lui opposent leur fantaisie : en eux se perpétue le lyrisme du siècle précédent, mais un lyrisme desséché, plus intellectuel que sensible on imaginatif ; leur art, très contraint dans son apparente liberté, n’est qu’un jeu d’esprit compliqué, dont la règle est de calculer toujours l’effet le moins attendu ou le moins nécessaire, pour le produire.

Comme la société est très intelligente et très avide du plaisir littéraire, on voit éclore alors une prodigieuse abondance de sonnets, de rondeaux, d’élégies, de chansons, de stances, dont la galanterie en général fait le fond, puisqu’il était établi qu’il ne pouvait y avoir d’honnête homme sans amour, ni d’honnête livre. Les uns sont plus emphatiques, d’autres plus raffinés ; il y en a de plus fades, ou de plus piquants, et l’on peut trouver dans cet art faux des merveilles de grâce spirituelle. Mais il suffira ici