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attardés et égarés.

pendant trois ans ces fameuses étrennes du 1er janvier 1641, la Guirlande de Julie ; Mlle  Paulet, une bourgeoise, à qui sa beauté rousse et son esprit faisaient une noblesse ; trois ou quatre Arnauld, abbés, magistrats, officiers, Chapelain, Voiture, Godeau, Ménage, non pas à titre d’écrivains, mais à titre de gens d’esprit. Deux princes du sang, le duc d’Enghien et sa sœur, future duchesse de Longueville, sont dès leur première jeunesse des habitués de la Chambre bleue. Plus tard apparaîtront Saint-Evremond, Mme  de la Fayette, la toute jeune et riante marquise de Sévigné. Le vieux Malherbe chante Mme  de Rambouillet ; Balzac, Corneille lui sont présentés : mais les réunions n’ont rien d’une Académie. Les gens du monde y dominent et donnent le ton : c’est, dit Chapelain, « le grand monde purifié », « la pierre de touche de l’honnête homme ». Il écrivait à Balzac, très curieux de savoir quelle était cette nouvelle puissance : « On n’y parle pas savamment, mais on y parle raisonnablement, et il n’y a lieu au monde, où il y ait plus de bon sens et moins de pédanterie ».

Parler, c’était la grande affaire, et les lettres du temps nous représentent à merveille cette conversation des premiers temps, encore un peu lourde, et qui croit se donner de la légèreté en se tortillant. Avec l’éternelle matière des propos mondains, celle que fournissent les nouvelles du jour, les médisances et les scandales, on s’occupe fort de démêler, d’analyser les sentiments, d’en distinguer les nuances et les sources, de ceux surtout qui sont d’un usage journalier dans la vie sociale, amour-propre, amitié, amour surtout ; on débat le sens et la beauté des mots ; on prend pour thème parfois quelque ouvrage nouveau dont on a entendu lecture, une lettre ou une dissertation de Balzac, ou bien, un certain jour, le Polyeucte de Corneille, dont la dévotion ne plaît guère. On dispute ferme à l’occasion sur une comédie de l’Arioste, ou sur deux sonnets rivaux : Malleville et Voiture ont fait chacun une Belle Matineuse. Le sonnet de Voiture à Uranie et le sonnet de Benserade sur Job partagent l’Hôtel de Rambouillet, puis tout Paris, en pleine Fronde !

La marquise, retirée chez elle dès 1608, ne meurt qu’en 1665, mais le beau temps de son salon c’est de 1624 à 1648. L’exemple qu’elle a donné est imité de toutes parts : par tout le beau Paris d’alors, autour du Louvre et du Palais-Cardinal, au Marais et dans la place Royale, les palais des princes et des seigneurs, des hôtels même de la riche bourgeoisie ouvrent leurs portes. Ce sont les dames de Clermont-d’Entragues, c’est la marquise de Sablé, qui a « la plus nette mignardise dans ses lettres aussi bien que dans sa conversation ». C’est Mme  de Maure, Mme  de Choisy, Mme  Scarron ; c’est M. Testu, chevalier du guet, chez qui on