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attardés et égarés.

pourtant de situer l’action dans un temps, dans un lieu précis, de la lier à des faits vrais comme à un paysage réel.

La pastorale française modifie en même temps le ton du genre et l’expression des sentiments : ils prennent quelque chose de plus prosaïque, mais aussi de plus solide. Le Tasse, Montemayor sont en leurs pays de grands poètes : D’Urfé ne vaut que par sa prose, fluide, diffuse, aimable, où se reconnaît le contemporain littéraire de François de Sales et de Montchrétien. Il ne traite pas son thème à la mode lyrique : s’il abonde en descriptions, en images, en ornements, il est sensible qu’il vise déjà surtout à noter, à détailler, à expliquer des faits moraux, qu’il traite comme des réalités. Je crois qu’on a exagéré la valeur de ses caractères et de ses dissertations : sa conception est molle, son analyse vague, et tout ce fonds est passablement banal aujourd’hui. C’était plus neuf alors ; et du reste l’important, c’est qu’il ait songé à donner des caractères, à suivre des sentiments, à marquer des nuances, des actions, des progrès. Il est remarquable que dans le matériel de la pastorale il a laissé toutes les machines qui servent à faire des changements à vue de passions, à créer ou détruire l’amour instantanément. Il a abandonné les amants aux lois naturelles de l’amour. Il ne leur a point attribué un platonisme incroyable. Mais il a peint des amants respectueux, des hommes du monde qui attendent patiemment la volonté des dames, incapables de brutalité, tout attachés à mériter par la constance de leur sentiment et l’ingéniosité de ses expressions : ils donnaient à nos gentilshommes des leçons de galanterie mondaine et de savoir-vivre.


3. L’HÔTEL DE RAMBOUILLET ET L’ESPRIT MONDAIN.


Au milieu de la littérature du temps, sensée, pratique, bourgeoise, entre l’économiste et l’agriculteur, qui prêchent le travail, et le saint qui prêche la pénitence, D’Urfé ressuscite la littérature aristocratique. Il trace des modèles d’une belle vie, sans peines et sans devoirs que par l’amour, à qui elle est dédiée. On nous conte qu’en 1624 des princes, des dames et des seigneurs d’Allemagne firent une Académie des vrais amants pour vivre la vie de l’Astrée sous les noms de l’Astrée. Moins lourde, mais plus sérieuse fut l’imitation française : la société précieuse est la réalité dont l’Astrée donne le roman. Il n’y a pas à douter que l’œuvre de D’Urfé n’ait aidé Mme  de Rambouillet à organiser la vie mondaine, lorsque, dégoûtée, nous dit-on, des manières par trop soldatesques et gasconnes