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la préparation des chefs-d'œuvre.

substantifs, et de l’usage il tirait des lois universelles et nécessaires. À l’usage encore il demandait de prononcer sur l’arrangement des mots, sur leurs alliances, leurs rapprochements, leurs dépendances, sur la structure et l’ordonnance des propositions. Mais ici se découvre un autre principe, que Malherbe extrait de ce qu’il estime être la fonction littéraire de la langue : il veut qu’on satisfasse à la raison, ainsi qu’à l’usage ; et l’usage même tire son autorité de la raison. Car si l’on parle pour se faire entendre, c’est raison qu’on parle comme tout le monde. Et pareillement, c’est raison qu’on élimine de sa parole tout ce qui nuit ou ne sert pas à l’intelligence des choses ; l’expression parfaite est celle qui met la pensée en pleine lumière. Donc propriété, netteté, clarté, fuir tout ce qui est fantaisie, irrégularité, équivoque, voilà en somme l’enseignement de Malherbe. Il tend visiblement à constituer la langue comme une sorte d’algèbre, à donner à la phrase une rectitude géométrique. Il poursuit les métaphores fausses, les comparaisons inexactes : il a une sorte de brutalité matérialiste dans la vérification des figures. Au fond il n’y a guère que l’expression propre et directe qui lui plaise. Et voilà la raison de son goût pour la mythologie : elle est un répertoire d’images raisonnables, c’est-à-dire universellement intelligibles. C’est une langue symbolique, où les termes ont des valeurs fixes, où les formes sensibles qui servent à l’expression de la pensée, sont indépendantes pourtant de la sensibilité individuelle de l’écrivain. Aussi se réduit-il à peu près absolument aux images mythologiques.

Faut-il imputer aussi à Malherbe la fatale distinction d’une langue et d’un style nobles ? Il a eu certaines idées, parfois singulièrement étroites, sur la décence de l’expression : mais ses scrupules sont plus mondains que littéraires. Si l’on compense les critiques que cet enragé contradicteur adressait à Desportes par sa plus ordinaire pratique, on se persuadera qu’il ne reconnaît point une langue poétique plus noble que la langue épurée du bon usage : il distingue très sensément la langue commune des langues techniques, et pour la clarté, il se réduit à celle-là ; mais, de celle-là, tout est bon, et les trivialités énergiques de ses plus beaux vers nous démontrent que le principe unique de la noblesse du style réside pour lui dans la qualité de la pensée.

Il porte le même esprit dans la réforme de la poésie : il n’invente pas, il choisit. Dans le magasin trop rempli de la Pléiade, il tire quelques formes, quelques rythmes, strophes de quatre, de six ou de dix vers : alexandrins dans les stances de quatre ou de six vers, vers de sept ou de huit syllabes dans les strophes de dix vers, vers de six mêlés diversement aux alexandrins. Ces formes ne sont pas nouvelles. Mais ce qui est nouveau, c’est la façon qu’il