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transition vers la littérature classique.

décide par raison. Ce qui amène deux conséquences : la littérature devient l’expression de la vérité ; il faut donc qu’elle soit sincère et objective. Puis, il faut qu’elle tourne du lyrisme à l’éloquence. Et nous voyons précisément ces caractères apparaître dans les écrivains dont j’ai parlé.

La littérature où la raison tend à dominer, s’oriente vers l’universel : elle reconnaît pour son objet ce dont chacun trouve en soi, la vérité et l’usage ; rien ne lui sera plus propre que la vie humaine, que les faits moraux, les forces et les freins que met en jeu dans l’âme l’existence de chaque jour. Le technique tend donc à être rejeté hors de la littérature, qui aura pour objets principaux la peinture des mœurs et la règle des mœurs ; l’une appartiendra surtout à la poésie, et, par l’autre, la philosophie et la théologie resteront des genres littéraires.

Sous la pression des tristesses morales de cette époque troublée, une sorte de stoïcisme chrétien s’élabore dans les âmes qui ont besoin de faire provision d’énergie. Montaigne ne put suffire qu’à ceux qui vivaient comme lui retirés en leur château, sans action et sans responsabilité. On conçut qu’il fallait donner une autorité supérieure et un fondement rationnel à la règle des mœurs, et l’on résolut encore ce problème par la superposition du christianisme à la sagesse humaine des anciens. Le désordre des mœurs, la difficulté des temps font embrasser ce que la Bible et l’antiquité ont de plus fort et de plus austère dans leurs doctrines morales. Du Plessis-Mornay [1], d’Urfé [2], etc., paraphrasent Sénèque que Malherbe traduira ; Du Vair traduit Épictète, en même temps qu’il médite Job et Isaïe. Le tendre François de Sales, sous l’aménité fleurie de ses discours, arme la volonté, et lui donne tout, pour lui tout demander. Dans ce réveil de l’énergie morale se préparent et la théorie cartésienne de la volonté et la théorie cornélienne de l’héroïsme : et là se trouve l’explication de la faveur que rencontrera le jansénisme, cette forme forte du catholicisme.

Après le grand effort de la Pléiade pour créer de toutes pièces une littérature artistique, nous constatons sous le règne de Henri IV un retour au naturel. Mais ce n’est pas le naturel de Marot : à force de s’étirer, l’esprit français a grandi ; à force de se guinder, il s’est haussé. Les écrivains s’abandonnent et savourent le plaisir de ne pas se contraindre : de là cette composition un peu lâche, cette abondance diffuse, cet écoulement paisible de pensées, cette largeur étale du style fluide et lent. Régnier, si vif, si ardent, est aussi désordonné et prolixe que les autres. Il y a dans presque toutes les

  1. Dans ses Discours de la vie et de la mort (1575).
  2. Dans ses Épitres morales, écrites en prison (1595).