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transition vers la littérature classique.

ne croirait. La maîtresse pièce de l’homme, pour lui. c’était la volonté, et l’amour n’était que l’élan dont la volonté se portait au bien aperçu par la raison. Ce bonhomme, qui semble tout fondant de chaleur dévote, et qu’on prendrait pour un doux illuminé, a le sens ferme et la conscience austère : ne prenez pas son tempérament pour sa doctrine, ni ses manières pour ses principes. Il y a une direction très prudente et très peu indulgente dans ses deux ouvrages capitaux, son Introduction à la vie dévote et son Traité de l’amour de Dieu : il y a là plus de mollesse féminine, ici plus de mâle vigueur, mais l’instruction est la même au fond. Ce grand convertisseur et manieur d’âmes sait bien que ni l’Évangile ni la vie selon l’Évangile ne sont choses plaisantes, et il faut ne l’avoir pas lu pour s’imaginer qu’il rende la dévotion aisée.

Avec toute la différence de son humeur, il continue Calvin : il fait de la théologie une matière de littérature, parce que, renonçant à la scolastique, il parle à tout cœur chrétien, à tout esprit raisonnable ; il ne faut qu’être homme, et chercher la règle de la vie, pour le comprendre et le goûter. Voici que décidément tout le technique de la théologie reste dehors. « Monsieur de Genève » fut aussi le vrai restaurateur de l’éloquence de la chaire. Il en avait trouvé le vrai principe : « parler affectionnément et dévotement, simplement et candidement, et avec confiance ». Ajoutez la science du dogme, et la science du cœur humain, qu’il avait surabondamment. Quoi qu’il ait prêché toute sa vie comme il improvisait. On n’a qu’un très petit nombre de ses sermons : c’en est assez, avec ses Entretiens spirituels qu’on a recueillis, pour nous faire juger cette éloquence solide et insinuante, qui semble une causerie aisée, soudaine, enlevée jusqu’au pathétique par une émotion intérieure : c’est parfois un commentaire chaleureux de quelque texte sacré, parfois une libre instruction sans ordre apparent, ou divisée sans subtilité. Le mouvement en est celui des homélies pastorales de Bossuet, lorsqu’il prêchait dans son diocèse.

Le péché mignon du bon évêque, c’était l’exubérance d’une imagination trop ingénieuse et trop fleurie. Car encore qu’il ait écrit qu’ « il ne faut ni blanc ni vermillon sur les joues d’une chose telle que la théologie », il admettait pourtant en théorie dans l’éloquence sacrée l’emploi des éruditions antiques et des histoires naturelles « comme l’on fait des champignons, pour réveiller l’appétit, ». Sa pratique n’a été que trop fidèle à sa théorie. Toute la nature et tous les livres lui fournissent des comparaisons, des images, des agréments : il a une libre fantaisie qui se promène à travers le monde, ramassant toutes les curiosités et toutes les singularités, à la façon de Montaigne. Une légère sentimentalité enve-