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la littérature sous henri iv.

d’éloquence religieuse, dans un genre auquel le siècle classique devra un de ses chefs-d’œuvre[1]. Il a écrit des Méditations chrétiennes, très curieuses à étudier pour qui veut voir comment un esprit français, tout raisonnable et pratique, convertit en pensée éloquente te lyrisme passionné des prophètes juifs, comment il glisse par-dessous les grandes images de la Bible tout le détail utile de la vie morale. Même en sortant de Bossuet, on peut goûter les méditations de Du Vair sur Jérémie et son Isaïe. Si l’on rassemble la belle suite des harangues de Du Vair, son curieux traité de l’Éloquence Française, ses œuvres morales, et ses discours chrétiens, on se convaincra que ce remarquable orateur n’a pas encore reçu la place à laquelle il a droit.

Je ne m’arrêterai pas aux controversistes : leur genre aura plus tard des chefs-d’œuvre, il n’en est qu’à se discipliner. On trouve encore des érudits enragés, comme ce Feuardent qui dénonçait d’un coup quatorze cents erreurs des réformés. Cependant on commence à délimiter, à faire saillir les questions essentielles : entre Du Plessis-Mornay et Charron, la question de l’Église ; entre Du Plessis-Mornay [2] et Du Perron [3], ou Coeffeteau [4], la question de l’Eucharistie : on commence à user aussi de la vraie méthode, et si l’on entasse encore les textes, du moins apprend-on à les manier, et le raisonnement se marie avec l’érudition. Après Calvin, les protestants n’avaient guère qu’à déchoir, mais les catholiques gagnent. Du Perron, notamment, use de science et de logique ; avec lui l’Église romaine se décide à discuter, et à démontrer.

En face de Du Vair, le magistrat stoïque, il faut placer François de Sales [5], le mystique pasteur. Ils ne sont pas si différents : le premier a plus de tendresse, et le second plus de dureté qu’on

  1. Parmi ses Traités de piété, je citerai : De la Sainte Philosophie ; Méditations sur Job, sur les lamentations de Jérémie, sur le cantique d’Ezéchias (Isaïe), etc
  2. Du Plessis-Mornay (1549-1623) ; soldat, négociateur, théologien, a écrit : les Discours sur la vie et sur la mort (1575), les Vindiciæ contra tyrannos (1579) ; le Traité de l’Église (1579) ; le Traité de la vérité de la Religion chrétienne (1581) ; le Traité de l’Eucharistie (1598).
  3. Jacques Davy du Perron (1556-1618), évêque d’Évreux (1575), puis archevêque de Sens, cardinal en 1604, réfuta le Traité de l’Eucharistie de Du Plessis-Mornay.
  4. Nicolas Coeffeteau (1574-1623), dominicain, prédicateur de Henri IV, dont il fit l’oraison funèbre, évêque de Marseille en 1621, combattit Du Plessis-Mornay, Jacques Ier, Dumoulin. Il a écrit aussi un Tableau des passions humaines (1620) et l’Histoire romaine (1621). — À consulter : l’abbé Urbain, N. Coeffeteau, Paris, in-8, 1893.
  5. François de Sales (1567-1622), né à Annecy, évêque de Genève, prêche à Paris en 1602, en 1604 à Dijon. On sait l’amitié qui l’unit à Mme de Chantal, fondatrice de l’ordre de la Visitation, et à l’évêque de Belley, Camus. — Éditions : Œuvres complètes, Lyon, 1669, 2 vol. in-fol. ; Paris, 1821, 14 vol. in-8 ; Annecy, in-8, t. I et suiv., depuis, 1892. — À consulter : Lettres de Mme de Chantal, 2 vol. in-8, 1860. Sainte-Beuve, Port-Royal, t. I. Causeries du lundi, t. VII ; F. Strowski, Saint François de Sales. Introduction à l’histoire du sentiment religieux au xviie siècle, 1898