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montaigne.

l’idée de faire un recueil de ses lectures, un mélange d’exemples et de réflexions, comme avaient fait l’Espagnol Pierre Messie et divers autres. Mais, peu à peu, il s’éleva au-dessus de cette besogne ; son entreprise lui fit développer son originalité. Il avait regardé les hommes, il se regarda lui-même, réfléchissant, conférant, ratiocinant, habile à extraire d’un fait une idée ; il fit ainsi la revue de toutes ses opinions, préjugés, croyances, connaissances, et ce faisant, il fit le tour des idées de son siècle. Il mena une vaste enquête qui aboutit à classer, à trier, parmi l’immense et confus apport de ces cent années qui avaient trouvé le nouveau monde et ressaisi l’ancien, ce qui pouvait être utile, à Montaigne sans doute d’abord, mais du même coup à ses concitoyens, et à tous les hommes qui auraient la tête faite comme lui : tout ce qu’il garda fut soigneusement expertisé, « contre-rôlé », ajusté, adapté, pour l’usage de l’intelligence.

Le résultat fut, au bout de dix ans, à peu près, de voluptueuse étude, deux livres d’Essais qui parurent à Bordeaux en 1580. Huit

    seiller au Parlement de Bordeaux. Il y fut collègue de La Boétie, avec qui il se lia vers 1559, et qui mourut en 1563. Il épousa en 1565 Françoise de la Chassage, d’une famille de robe bordelaise, et en eut six filles, dont une seule vécut. Il résigna son office de conseiller en 1570, et reçut en 1571 l’ordre de Saint-Michel. Il voyagea en Allemagne et en Italie (1580 et 1581) et obtint à Rome des lettres de bourgeoisie ; en même temps une censure bénigne y atteignit les Essais. En son absence, il fut élu maire de Bordeaux, et réélu du 1583. Sur la fin de sa seconde magistrature, la peste désola Bordeaux : Montaigne se tint à Libourne, en bon air. Il joua un certain rôle pendant les troubles, d’abord pour préserver la ville de Bordeaux pendant les quatre années de sa mairie, mais aussi dans la politique générale comme négociateur, intermédiaire et confident : les chefs des partis le recherchaient pour sa modération, sa sûreté et sa pénétration. Il fut royaliste sans fanatisme, servant Henri III, mais reconnaissant déjà dans le roi de Navarre le légitime héritier de la couronne. Il le reçoit à Montaigne en 1584. En 1588, étant à Paris, il est mis un jour à la Bastille par la Ligue. Il assiste aux États de Blois, où Étienne Pasquier nous dit avoir conversé avec lui. Dans une de ses lettres à Henri IV, il marque que le roi a voulu avoir une correspondance avec lui. Il meurt en 1592. Il avait eu une particulière amitié avec Pierre Charron, qui passa avec lui une partie de l’année 1589, et avec Mlle de Gournay, sa fille d’alliance, qu’il vit pour la première fois à Paris en 1588.

    Éditions : Essais (l. I et II), Bordeaux, 1580, pet. in-8 ; avec le I. III, Paris, A. L’Angelier, 1588, in-4. Éd. de Mlle de Gournay : Paris, 1595, in-fol. ; 1635, in-fol. (texte rajeuni) ; de Naigeon, Paris, Didot, an X (1802), 4 vol. in-8 ; de V. Le Clerc, Paris, 1826, 5 vol. in-8, et 1865 (Garnier), 4 vol. in-8 ; de Dezeimeris, Bordeaux, 1870, 2 vol. in-8 (texte de 1580) ; de Courbet et Royer, Lemerre, 5 vol. in-8, 1872-1899 (texte de 1595) ; de Motheau et Jouaust, libr. des Bibliophiles, 7 vol. in-16, 1886-89 texte de 1588). — Journal de Voyage de M. de Montaigne, p. p. Lautrey, 1906, in-8o.

    À consulter : Ed. Garnier, t. IV, p. 445-457, Bibliographie, pour les ouvr. antérieurs à 1865 ; T. Malvezin, Michel de Montaigne, son origine et sa famille, Bordeaux, 1875, in-8 ; Prévost-Paradol, les Moralistes français (1864), 7e éd., 1890, in-12, Voizard, Étude sur la Langue de Montaigne, 1885, in-8 ; P. Bonnefon, Montaigne, l’homme et l’œuvre, Paris, 1893, in-4 (2e éd., 1898, 2 vol. in-18) ; P. Stapfer, Montaigne, 1895, in-16 ; Faguet, xvie Siècle ; G. Guizot, Montaigne, études et fragments, 1899 ; Champion, Introduction aux Essais de Montaigne, 1900 ; Villey, Les sources et l’évolution des idées de Montaigne, 1908, 2 vol.