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la littérature militante.

Aux fantaisies historiques d’Hotman sur la royauté élective et la souveraineté des États, il opposa la théorie de la monarchie française, héréditaire, absolue, responsable envers Dieu du bonheur public ; avec une nette vue de l’état réel des choses, il vit dans l’État la famille agrandie, et dans l’absolutisme royal l’image amplifiée de la puissance paternelle. Autour de ces idées fondamentales, il groupa une théorie générale des formes diverses du gouvernement, de fortes études sur les progrès et les révolutions des États, des réflexions curieuses sur l’adaptation des institutions politiques aux climats, enfin de très libérales doctrines sur l’impôt et l’égale répartition des charges publiques : si bien que ce livre, sans éloquence, sans passion, pesant, peu attrayant, fonda chez nous la science politique, et ouvrit les voies non seulement à Bossuet pour la théorie de la royauté française, mais à Montesquieu pour les principes d’une philosophie de l’histoire.

Bodin fixa pour le tiers état la notion des rapports du pouvoir royal et du peuple. Cette doctrine était impliquée déjà dans les harangues de L’Hôpital : Du Vair ne manquera pas une occasion de l’affirmer, et elle sera le fond solide et comme la substance de la Satire Mênippée. Cependant les mêmes idées commençaient à agir sur les protestants : de larges esprits s’élevaient parmi eux, qui, revenant aux vrais principes de la première réforme, ne demandaient qu’à mettre d’accord leur conscience religieuse et leur devoir de Français au moyen des conditions posées par L’Hôpital et par Bodin. Le plus pacifique de ces modérés calvinistes fut un des plus vaillants soldats de la guerre civile, La Noue [1], ce petit gentilhomme breton qui forçait à tel point l’estime des deux partis, qu’en même temps il pouvait être envoyé du roi auprès de ceux de la Rochelle, et défenseur de la Rochelle contre le roi, au su et par la volonté des uns et des autres.

Ce soldat que les loisirs d’une prison firent écrivain, trouva le style qui convenait à son âme douce et. forte : un style familier et vigoureux, sans ombre de prétention ni d’effets. On put lire en 1587 ses Discours politiques et militaires, où il avait versé toute son expérience et tous ses souvenirs ; Français autant que protestant, il réclamait énergiquement la paix et la tolérance, seuls moyens de rétablir le royaume et les mœurs : il s’adressait aux catholiques autant qu’aux protestants ; car l’union dépendait des

  1. François de la Noue (1531-1591), gagné au calvinisme par Dandelot, fit toutes les guerres civiles, et fat avec Coligny le meilleur capitaine des protestants. Faisant la guerre en Flandre contre les Espagnols, il fut pris en 1580, et ne fut échangé qu’en 1585. Il fut à Arques, à Ivry, au siège de Paris, et fut tué au siège de Lamballe. — Édition : Discours politiques et militaires, Bâle, 1537, in-4 ; coll. Michaud, t. IX. — À consulter : Sayous, ouvr. cité. Hauser, F. de la Noue, Hachette, in-8. 1892.