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guerres civiles.

de succession traditionnel appela Henri IV au trône, les protestants quittèrent leurs doctrines, qui furent recueillies par les catholiques, et le régicide devint pour un temps la propriété des théologiens de la Compagnie de Jésus.

Les catholiques ne demeuraient pas en reste d’injures et de pamphlets : mais leurs passions ne trouvèrent point d’interprète qui les fit vivre dans une forme littéraire. Entre les deux partis extrêmes, un parti de modérés, amis de la paix, de l’ordre et de l’union, sa forma et peu à peu éleva la voix. C’était en somme la bourgeoisie, éminemment représentée alors par les gens de robe, qui faisait entendre et finit par imposer les réclamations de son honnêteté, de son sens pratique et de son patriotisme. C’était elle qui allait faire la France de Henri IV et de l’ancien régime, catholique mais gallicane, la royauté absolue, mais servie et contenue par le tiers état. Dans les efforts de L’Hôpital pour obtenir la paix religieuse, dans la résistance de Pasquier à l’établissement des Jésuites, dans le rôle de Du Vair qui essaie de réconcilier le peuple catholique avec le roi légitime, le même esprit se montre ; et l’action de ce tiers parti, qu’on dit des politiques et qu’on devrait dire des patriotes, se fait sentir. Ce parti, qui n’avait ni les armes ni le nombre, avait les lumières et le talent : il lutta par sa parole et par toute sorte d’écrits, s’efforça de gagner le sentiment national, de l’obliger à prendre conscience de soi-même et de ses pressants intérêts. L’Hôpital, Du Vair, si modérés, si graves, ne craignirent pas d’agiter l’opinion par d’éloquents et forts libelles.

À côté d’eux se range un des plus originaux et hardis esprits de ce temps, Jean Bodin [1], qui, député aux États de Blois de 1576, fit refuser par le tiers les subsides réclamés pour la guerre civile. Bodin malheureusement ne nous appartient pas tout entier : il écrivit en latin cette Méthode pour l’étude de l’histoire où abondent les idées neuves et fécondes, et cet étrange Heptaplomeres inédit jusqu’à nos jours, où avec une force incroyable pour le temps il confronte toutes les religions et les renvoie dos à dos, sans raillerie impertinente, comme expressions diverses de la religion naturelle, seule raisonnable, et comme également dignes de respect et de tolérance. Cette conclusion rattache le dialogue à la pensée maîtresse de Bodin.

Une idée analogue fait l’actualité de six livres de la République qu’il donne en 1576. C’est certainement une réplique à la Franco-Gallia d’Hotman. Mais Bodin a su faire autre chose qu’un pamphlet.

  1. J. Bodin (1530-1596), Angevin, avait indiqué dès 1566 dans sa Methodus ad facilem historiarum cognitionem l’influence des climats, l’idée du progrès, etc.

    Éditions : la République, Paris. 1576, in-fol. — À consulter : Bayle. Dictionnaire. Baudrillart,.J. Boudin et son temps, 1853 ; Publicistes modernes (J. Bodin et l’Heptaplomeres), 1862.