Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/337

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
315
la littérature militante.

Puis, comme l’éloquence politique, l’éloquence judiciaire, un instant soulevée au-dessus de la chicane journalière, eut les ailes coupées, et nous la verrons se traîner au xviie siècle sans pouvoir jamais sortir du pédantisme, tandis que l’éloquence religieuse, aidée des circonstances qui étouffent les deux autres genres, s’acheminera rapidement à sa perfection.


3. LA SATIRE MÉNIPPÉE.


À l’éloquence se rattache un genre auquel la vivacité de la lutte donna soudain un développement considérable. Le pamphlet fut alors une des formes principales de la littérature. Les réformés y recoururent de bonne heure, pour légitimer aux yeux des peuples leurs nouveautés et la rupture de l’unité religieuse : Calvin, Viret écrivirent vigoureusement, injurieusement contre les superstitions et l’immoralité de l’Église romaine. Le chef-d’œuvre du genre est l’Apologie pour Hérodote que j’ai déjà nommée ; Henri Estienne, pour défendre Hérodote dont la véracité était soupçonnée, imagina de démontrer que la sottise et la malice des hommes de son temps produisaient des effets aussi étonnants que les invraisemblables contes de l’historien grec ; et mettant ses haines huguenotes au service de ses goûts littéraires, il se prit à conter tant de graveleux et scandaleux exemples de la corruption catholique, à dauber fidèles et clergé avec une verdeur si rabelaisienne, que l’austère Genève crut entendre un accent d’impiété dans la trop pétulante gaieté de son champion.

La guerre civile greffa les controverses politiques sur les discussions théologiques et morales. Les réformés, poussés à la guerre par la persécution et par l’ambition des chefs de deux partis, ne se contentèrent pas de discréditer leurs principaux ennemis par d’outrageux, mais parfois éloquents pamphlets [1]. La nécessité de justifier leurs prises d’armes contre l’autorité royale dont leurs adversaires se couvraient, leur donna occasion de discuter l’étendue et le fondement du pouvoir monarchique. Ils réimprimèrent le Contr’un, et leurs érudits. Hotman, Du Plessis-Mornay, mirent en avant les théories nouvelles : la royauté élective et la souveraineté des États, les droits de la conscience contre la loi, la légitimité de l’insurrection, et même du régicide [2]. Quand l’ordre

  1. Épitre envoyée au tigre de la France (le card. de Lorraine), éd. Read, 1875.
  2. Hotman, Franco-Gallia, 1573 ; trad. française, 1574. Le Réveille-matin des Français, anonyme (Beze ou Hoteman), 1574. Du Plessis-Mornay, Vindiciæ contra tyrannos (attr. faussement à Hubert Languet, cf. Revue historique, nov.-déc. 1892), 1578.