Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/334

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
312
guerres civiles.

roi fit du bien public son bien, il voulut fortifier le roi pour assurer la paix ; il se dévoua à combattre tous les fauteurs de sédition et d’anarchie, les ambitieux déguisés en fanatiques, et les fanatiques en qui le zèle faisait tous les effets de l’ambition. Il concevait la tolérance religieuse, en bon Français comme une nécessite politique, en bon chrétien comme un commandement de l’Évangile : les événements du siècle lui semblaient en donner la démonstration expérimentale, et il ne cessa de la prêcher, aux Rois, aux États, aux Parlements : c’était l’unique moyen de rétablir la paix sociale et de maintenir l’unité du royaume, disait-il quarante ans presque avant l’édit de Nantes. À travers ces hautes préoccupations, il n’oubliait pas qu’il était magistrat et chef de la justice : en même temps que ses Ordonnances réformaient les vices de la législation et de la procédure, il visitait les Parlements ; à Paris, à Rouen, à Bordeaux, il admonestait les juges, leur disait d’honnêtes et de fortes paroles, les rappelant à la probité, à l’exactitude, à la vigilance, avec un profond amour du peuple à qui la justice doit être une protection, non une charge.

Cet homme inébranlable au milieu des factions, qui ne cherchait pas le nom de bonhomme, sachant être ferme à ses propres risques, et que les grands soucis ne détournaient pas des petits devoirs, eut le culte et la passion des lettres : il se consola de sa disgrâce en faisant des vers latins. Aussi son éloquence est-elle parfois encombrée d’érudition. L’Hôpital ne se fait pas faute de citer à la file dans le même discours Philippe, Démétrius, Louis XII, Théopompe, Galba, et bien d’autres : cela passait pour gentillesse dans le monde lettré du Palais. Mais, heureusement, il avait une éloquence de tous les jours, qui vaut mieux. Il a la phrase un peu lente et pesante, mais traversée de brusques éclairs, et parfois ramassée en fortes sentences. Dans ses visites aux Parlements, sa parole est familière, pittoresque, haussée par l’intérieure élévation de la pensée, échauffée soudain de passion spontanée, et redescendant sans heurt à l’aisance d’une grave causerie. Mais dans la Harangue aux États d’Orléans (1560) et dans le Mémoire au Roi sur le But de la guerre et de la paix (1568), ses ordinaires remontrances en faveur de la paix et de la tolérance ont revêtu une forme singulièrement forte ; vigueur de raisonnement, mouvement pathétique, expression saisissante, toutes les parties d’un grand orateur se trouvent dans ces deux pièces.

Du Vair [1]n’a pas la brusquerie nerveuse ni le feu intérieur de

  1. Guillaume du Vair (1556-1621), conseiller au Parlement de Paris en 1584, envoyé en Angleterre (1596), intendant de justice à Marseille, puis premier président au Parlement de Provence, garde des sceaux (1616), évêque de Lisieux (1617), fut un des