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guerres civiles.

Il y a de beaux morceaux dans Du Bartas : mais il n’y a que des « morceaux ». De par la conception première de l’œuvre, la Semaine n’est qu’une collection de « morceaux » rejoints et classés. Et tous ces morceaux sont descriptifs. Au fond, Du Bartas, qui peint la nature sortant des mains du Créateur, n’est qu’un Belleau protestant. Il a l’avantage de l’enthousiasme religieux ; mêlant sa foi dans tous les actes de sa pensée, il prend un sujet biblique, au lieu de je ne sais quelle indifférente histoire naturelle. Mais ce sujet n’en est pas moins tout descriptif, et je reconnais là l’esprit de la Pléiade dégénérée. Voilà pourquoi celui qui fut en son temps le rival de Ronsard n’est pour nous que l’émule de Belleau. Ses vers à effet, sa vigueur éloquente, sa phrase magnifiquement gonflée, ses passages éclatants n’y font rien : on pourra le faire admirer dans d’habiles extraits, mais le faire lire d’un bout à l’autre, jamais.

Et puis, permis à Gœthe, un Allemand, de n’y point faire attention : mais enfin celui dont Ronsard expia les péchés, celui qui méconnut le génie de la langue, qui l’enfla d’inventions fantastiques jusqu’à « la faire crever », celui qui alla à l’encontre de tous les préceptes et de l’esprit du maître, ce fut Du Bartas ; on sait l’abus qu’il fit des composés : « guide-navire, échelle-ciel, brise-guérets, aime-lyre », et une infinité d’autres. Il a compromis ainsi une tentative qui en elle-même était intéressante. Il a aussi très indiscrètement exercé le provignement recommandé par Ronsard. Sa langue est celle d’un provincial qui veut montrer aux Parisiens qu’on n’est pas arriéré chez lui : il exagère leurs modes ou leur jargon, et arrive à n’être que leur caricature. Il n’y a pas de réhabilitation à tenter pour lui.


2. ÉLOQUENCE. L’HÔPITAL ET DU VAIR.


Nous arrivons maintenant à des produits plus directs des discordes et de l’anarchie du xvie siècle. Toute une littérature oratoire et polémique en sortit.

L’éloquence, d’abord, en prit soudain un vigoureux essor. Non pas l’éloquence religieuse : car il fallut que l’apaisement se fit pour que la prédication catholique acquît cette solidité et cette gravité, dont Calvin avait donné les premiers modèles. Dans l’exaspération de la lutte, la parole chrétienne ne pouvait garder la décence de son caractère, ni les esprits chrétiens la mansuétude de leur Évangile : les protestants glissèrent à la virulence injurieuse ; les catholiques qui ne s’étaient pas encore réformés, retenant la vulgarité facétieuse des Maillard et des Menot, se donnèrent pour rôle