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les mémoires.

niste, gaulois et bourgeois, ami des bons contes, et passionné pour la langue française, entre ses continuels voyages et ses travaux philologiques, il trouva le temps d’écrire de mordants et spirituels traités, avec une verve et une verdeur de style fort remarquables. Un singulier mélange de vénération pour Hérodote et de haine du papisme lui fit écrire son Apologie pour Hérodote. Le même enthousiasme d’helléniste se mêla dans son dévouement au français vulgaire.

Ayant démontré copieusement la conformité du langage français avec son cher grec, il n’eut pas de peine à se convaincre de la prébellence de notre idiome sur le parler d’Italie, qui n’est que du latin : et comme il prouvait par exemples abondants la gravité, sonorité, richesse et souplesse du français, il était naturel qu’il tâchât d’en préserver la pureté des inutiles et plutôt dangereux apports de l’italianisme. Par ses piquants et fort sensés Dialogues du langage françois italianisé, Estienne se place parmi les ouvriers de la première heure, qui préparèrent la perfection de la langue classique. Plus le langage courtisan devenait le type de l’usage littéraire, plus il était nécessaire de le soustraire à la corruption de ce jargon d’outre-monts qu’apportaient les reines et les aventuriers d’italie, et que la servilité de nos raffinés s’empressait d’imposer à la mode. Henri Estienne, dénonçant par la bouche de son Celtophile tous ces vocables étrangers qui supplantaient les bons et natifs français, procéda à une épuration nécessaire : il fut de ceux qui préparèrent dans l’opinion le succès de Malherbe.

Étienne Pasquier[1], que nous retrouverons quand nous parlerons de l’éloquence judiciaire, prolongera sa vie jusqu’au début du xviie siècle littéraire : mais il est bien de la génération et de la période qui nous occupent. Latiniste et juriste très érudit et peu artiste, profondément bourgeois et Français, honnête, laborieux, de vie calme et de mœurs graves, d’esprit ardent et caustique tout à la fois, il est par son aimable solidité un des plus parfaits exemplaires de cette classe parlementaire qui a fait tant d’honneur à l’ancienne France. Ses Recherches de la France et ses Lettres, malgré la différence des titres, sont bien des ouvrages de même nature :

  1. Biographie : Étienne Pasquier, né en 1529, eut pour maîtres Hotman à Paris, Cujas à Toulouse, Alciat et Socin en Italie, débuta au barreau en 1549, et plaida en 1565 pour l’Université contre les Jésuites. Avocat général à la Cour des comptes en 1585, il était à la fois attaché au roi Henri III et aux Guises, ennemi de la sédition et de la guerre civile : la Ligue emprisonna sa femme, et il ne put rentrer à Paris qu’avec Henri IV. Il mourut en 1615.

    Éditions : Recherches de la France : 1er livre, 1560 ; 2e l., 1565 ; 7 l., 1611 ; 10 l., 1621. Lettres, 10 l., 1586 ; 22 l., 1619. Catéchisme des Jésuites, 1602. Œuvres complètes 2 vol. in-fol., Amsterdam, 1723. Œuvres choisies, éd. Léon Feugère, 2 vol. in-12, Paris, 1849.