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poésie érudite et artistique.

qui attaquèrent l’école purent-ils croire légitime de frapper sur lui. Chacun se fit un Ronsard à sa mode : l’honnête Vanquelin de la Fresnaye, l’ardent et facile Régnier, pour s’en réclamer ; Malherbe, pour le condamner. Mais Ronsard durait toujours, était défendu, loué, imprimé. Chapelain, un des fondateurs à certains égards du classicisme, l’estimait plus poète que Malherbe. La dernière édition de Ronsard est de 1630 : c’est vers ce moment, entre 1630 et 1640, qu’il s’enfonce décidément dans l’oubli, où il se perdra, quand seront morts les derniers représentants des générations qui avaient assisté à sa gloire.

Les causes de l’étonnante disparition de Ronsard pendant deux siècles sont multiples. D’abord, sa langue le discrédite : où elle est de son invention, elle ne s’est pas imposée ; où elle est de son temps, elle a passé. Rien ne compensa suffisamment en lui la rudesse de la langue : Amyot, Montaigne ont été sauvés par leurs sujets, par l’objectivité, la généralité des choses dont ils parlaient. Ronsard, subjectif et lyrique, point moraliste, ni psychologue, n’a rien qui engage les lecteurs du xviie siècle à vaincre l’obstacle et le dégoût de sa forme surannée.

Puis il fut pris entre les deux ennemis qu’il avait combattus. La première fièvre de la Renaissance une fois calmée, Ronsard fut trop érudit, obscur et pédant pour le courtisan. Mais l’érudit n’avait pas encore adopté la langue vulgaire. Les humanistes avaient fondé un système d’éducation qui l’excluait. Les nouvelles générations arrivaient, nourries dans leurs collèges de Virgile et d’Horace, n’ayant parlé, écrit, étudié qu’en latin. Qui donc leur eût révélé Ronsard ? À ce moment précis, le monde n’existait pas encore, et c’est le monde qui pendant longtemps complétera l’enseignement des collèges, indiquera les Français dont il faut se souvenir, qu’il faut lire. Mais comme le monde n’a souci d’éruditions et suit son plaisir, il ne remonte point aux temps antérieurs ; une tradition mondaine, en fait de jugements littéraires, ne commence à se former que dans les dernières années de Malherbe, et c’est à partir du xviie siècle seulement que se constitue et s’enrichit peu à peu dans l’opinion de la société polie le dépôt des chefs-d’œuvre de notre littérature classique. On songea enfin d’autant moins à se retourner vers Ronsard qu’il était inutile : Malherbe, puis Corneille réalisaient le meilleur des vues de Ronsard, et du jour où ce qu’il avait de bon fut acquis et dépassé, les excès seuls et les défauts de son œuvre comptaient pour le public.

De là l’oubli profond, l’étrange mépris où tomba Ronsard, dont le nom devint représentatif de tout ce que le xviie siècle ne pouvait accepter, ni goûter, ni comprendre dans l’héritage du xvie. Mais si l’on veut être juste envers la Pléiade, on se souviendra qu’avant