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les tempéraments.

Estienne imprimait Anacréon (1554) : Ronsard y applaudit sans s’apercevoir que ces grâces alexandrines et gréco-romaines allaient éclipser la naïve grandeur des purs classiques. Belleau traduisit Anacréon, mais tout le monde voulut cueillir de ces jolies fleurs : ce fut à qui imiterait ces mignardises. Puis de l’antiquité mièvre on redescendit à la spirituelle Italie. Le pétrarquisme fleurit de plus belle ; l’Arioste fut le Virgile et l’Homère des poètes et des courtisans du dernier Valois. Ce ne sont que pointes et bel esprit chez Desportes [1], sécheresse de sentiment et grâces maniérées. Mais la forme des vers contraste avec la poésie : rien de plus parfait que certaines chansons de Desportes, par la vivacité légère du rythme. Il a donné surtout aux alexandrins soit continus, soit groupés en quatrains, en sizains, soit distribués en sonnets, une mollesse, une fluidité harmonieuse qui enchantent. Par sa forme, Desportes est encore tout lyrique. Par ses sujets, ses idées, son inspiration, il indique une déviation aristocratique de la Pléiade qui, sous l’influence italienne, et se vidant de plus en plus de sentiment pour faire prédominer l’esprit, aboutira à la délicatesse tout intellectuelle des Précieux.

Cependant une reine d’esprit naturel, dérivée de Marot, mais qui s’est teinte de fine émotion en traversant le domaine de Ronsard, circule encore dans la poésie : Passerat mêle la malice gauloise à la grâce sentimentale, et revêt le simple naturel des formes achevées de la poésie érudite ; dans son très petit domaine, il montre ce que peut le bon sens bourgeois appuyé sur la culture antique [2].


4. DISPARITION DE RONSARD.


Après 1573, on pourrait dire que Ronsard fut délaissé, ou plutôt qu’il ne fut guère imité que dans ses erreurs et ses. défauts ; on continua de l’adorer : mais son école s’adorait en lui ; aussi ceux

  1. Philippe Desportes, né en 1546, fut en grande faveur auprès de Henri III, qui le fit son lecteur, et abbé de nombreuses abbayes, notamment celle de Tiron. Il s’attacha sous la Ligue à Anne de Joyeuse, et fut le conseiller intime de M. de Villars. Il ménagea bien ses intérêts dans toutes les négociations et marchandages qu’il traita pour ses maîtres. Il sut se maintenir auprès de Henri IV. Il mourut en 1606. Ou l’attaqua fort sur l’exploitation qu’il faisait des poètes italiens, grands, moyens et petits. (cf. Flamini, Studii d’istoria litteraria, Livorno, 1895, in-8).

    Éditions : les Premières Œuvres de Philippe Des Portes, R. Estienne, in-4, 1573 ; les Psaumes, Paris, 1603. Éd. A. Michiels, Paris, 1858.

  2. Jean Passerat, de Troyes (1534-1602), fut professeur au Collège Royal, et l’un des auteurs de la Ménippée.

    Éditions : Œuvres poétiques, 1616 ; éd. Blanchemain, 2 vol. in-12, Lemerre, 1880.