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poésie érudite et artistique.

de leur originalité. Ronsard, malheureusement, ne subordonne pas son érudition à son tempérament : il la préférerait plutôt : tout au moins, il suit indifféremment l’une et l’autre, comme sources également fécondes et légitimes d’inspiration. En sorte que l’érudition, n’étant pas mise au service du tempérament, le gêne et le restreint.

Le tempérament était voluptueux, sensuel, mélancolique, de cette mélancolie que la brièveté et la relativité des instables voluptés imposent aux sensuels : il subissait fortement l’impression des choses extérieures et la rendait en images, qui exprimaient la concordance ou le contraste de la nature visible avec les dispositions intimes de la nature subjective. En un mot, il y avait en Ronsard, pour peu que l’art et le métier s’y joignissent, un tempérament de lyrique élégiaque.

Ce qui lui manqua, ce fut une pensée originale, une pensée qui ne fût occupée qu’à faire entrer le monde et la vie dans les formes du tempérament, à projeter le tempérament sur l’univers et sur l’humanité : qui par conséquent permît au tempérament de dégager toute sa puissance, et de réaliser ses propriétés personnelles. Ronsard aurait-il eu assez de spontanéité pour absorber ainsi toutes choses en son moi, et de son moi ainsi manifesté remplir une grande œuvre ? Je ne sais : en tout cas, il travaille sans cesse à étouffer sous les acquisitions de sa mémoire les sollicitations de sa nature. Lamartine fait le Lac ; V. Hugo, la Tristesse d’Olympio ; Musset, le Souvenir : un seul thème, trois tempéraments de poète, trois façons de sentir, par suite de concevoir la destinée de l’homme. Ronsard, s’il eût trouvé les trois pièces chez des modèles, n’eût pas cherché à approprier le thème à sa nature, en créant une quatrième œuvre, pareille et, différente : il eût successivement fait un Lac, une Tristesse, un Souvenir. Et voilà l’irréparable vice de son œuvre.

Mais voici par où elle se relève. Ronsard est excellent, exquis, délicieux ou grand, chaque fois que par hasard son intention d’érudit tombe d’accord avec son tempérament (et alors l’imitation ne lui sert qu’à manifester dans une forme plus belle son sentiment personnel), ou bien chaque fois que son tempérament prend le dessus et refoule les réminiscences de l’érudit. Relisons toutes les pièces qu’on cite : ces sonnets, ces chansons, où le pétrarquisme est traverse des élans fougueux d’une passion sensuelle, où se fond une subtilité aiguë dans la douceur lasse d’une mélancolie pénétrante, ces élégies où le néant de l’homme, la fragilité de la vie, le sentiment de la fuite insaisissable des formes par lesquelles l’être successivement se réalise, s’expriment en si vifs accents par de si graves images, ces hymnes, comme l’hymne à Bacchus