Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/309

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


2. RONSARD : EFFORT VERS L’ODE ET L’ÉPOPÉE.


Par la force du talent, par la grandeur de l’effort, par l’éclat du succès, Ronsard est le maître de la poésie du xvie siècle. Il y fut adoré à peu près comme V. Hugo en notre siècle. Ce fut une gloire européenne : Élisabeth, Marie Stuart, le Tasse, souverains et poètes l’encensaient ; l’Angleterre, l’Italie, l’Allemagne, jusqu’à la Pologne enviaient à la France le rival d’Homère et de Virgile. Et le président de Thou ne croyait pas faire une phrase quand il disait que la naissance de Ronsard avait réparé la perte de la France, vaincue ce même jour à Pavie. Cette renommée prodigieuse fut bâtie en dix ans, entre les Odes de 1550 et l’édition des Œuvres de 1560 [1]. À cette date, le Ronsard devant qui le siècle se prosterne, est complet. Les troubles civils tireront de lui une manifestation originale et considérable, les Discours, dont nous parlerons en leur lieu ; auprès des contemporains, ils ont plus nui que servi à sa gloire, en lui aliénant les protestants.

Mais la Franciade ? Elle ne parait qu’en 1572 : je ne dis pas au milieu des pires tourmentes religieuses et politiques, mais, ce qui est plus grave, à la veille des Premières Amours de Desportes (1573), et le recueil de Desportes, c’est la fin des grandes ambitions, c’est la banqueroute en quelque sorte de la Pléiade. Quelque admirée que la Franciade ait été à son apparition, elle fut sans influence : ce qui compte, ce ne sont pas les chants imprimés en 1572, c’est le dessein annoncé bien des années auparavant par Ronsard de tenter l’épopée, c’est la confiance unanime des poètes et du public qui, avec Du Bellay, le désignaient pour le souverain effort du poème héroïque, c’était l’admiration grave, le respectueux enthousiasme dont pendant tant d’années on entoura celui qui marchait dans les voies d’Homère et de Virgile. La gloire épique de Ronsard réside dans l’opinion qui précéda, qui attendit son œuvre, et non dans l’œuvre même, qui, somme toute, fit un médiocre bruit.

  1. Éditions : Odes (4 l.), et Bocage, in-8o, Paris, 1550. (Privilège du 10 janvier 1549) ; Amours, et Odes (l. 5), 1552, 1553 ; Hymnes, 1555, 2e livre, 1556 ; Meslanges, 1555, 2e livre, 1559. Œuvres (Amours, Odes, Poèmes, Hymnes), 4 vol. in-16, Paris, G. Buon, 1560. Élégie sur les troubles d’Ambroise, 1560 ; Institution pour l’adolescence du Roy, 1562 ; Discours des misères de ce temps, 1562 ; Continuation, 1562 ; Remontrance au peuple de France, 1563 ; Responce aux injures et calomnies, etc., 1563. Franciade (4 l.), 1572. Œuvres, 1 vol. in-f°, Paris, G. Buon, 1584 ; N. Buon, 2 vol. in-f°, 1623 ; de 1560 à 1630 on compte 17 éditions des Œuvres. P. Blanchemain (Bibl. elzév.), 8 vol. in-16, 1857-67 ; Marty-Laveaux, Lemerre, 6 vol. in-8, 18S7 et suiv.

    À consulter : A. de Rochambeau, la Famille de Ronsard, Paris, 1868 ; P. de Nolhac. le dernier amour de Ronsard, 1882 ; Abbé Froger, Ronsard ecclésiastique, 1882 ; les Premières poésies de Ronsard, 1892, in-8 ; Sainte-Beuve, ouvr. cité ; Gandar, Ronsard imitateur d’Homère et de Pindare ; Faguet, xvi ; Mellerio, Lexique de Ronsard, Paris, 1895 ; M Piéri, Pétrarque et Ronsard, Marseille, 1896 ; Vianey, le Pétrarquisme de la Pléiade, 1909.