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les théories de la pléiade.


1. LA LANGUE.


Pour la langue, les Romains se faisant d’après les Grecs un vocabulaire philosophique, scientifique et même poétique, indiquaient à la nouvelle école la méthode à suivre : et l’on voit tout de suite le danger. Car la langue littéraire de Rome est une création artificielle, et peut-être aurait-il été mieux ici d’essayer de ne point répéter les procédés un peu factices des écrivains latins. Mais ce précédent, autorisé par tant de chefs-d’œuvre, a fasciné nos poètes ; d’autant qu’une idée erronée les poussait encore dans le même sens : c’est qu’une langue est d’autant plus parfaite qu’elle a plus de mots. Tout le xviie siècle devait réagir, et même parfois avec un peu d’excès, contre cette doctrine ; mais vers 1550, dans l’état de la langue, l’erreur était et nécessaire et bienfaisante.

Bien des mots manquaient encore à la langue ; quand l’esprit se gonflait de tant d’idées, il fallait bien que le vocabulaire se remplît : il était impossible de ne pas innover beaucoup dans l’expression. Il fallait jeter bien des mots dans la langue ; les meilleurs resteraient, élus par l’usage ; une sorte de concurrence et de sélection naturelle déblaierait le vocabulaire peu à peu. Ce qu’on peut demander alors, c’est que celui qui fait des mots nouveaux les fasse par bon jugement. Je trouve, tout compte fait, six procédés indiqués par Du Bellay et par Ronsard pour l’enrichissement de la langue :

1o  On peut emprunter aux Latins ou aux Grecs leurs termes. Mais Ronsard s’élève contre les Français qui « écorchent le latin » : il serait le premier à se rire de l’écolier limousin. Et dans son œuvre il est bien loin d’avoir pris la même licence que Rabelais, Calvin ou Amyot : Du Bellay fut prudent aussi, et heureux dans ses essais, puisqu’il lança le mot de patrie.

2o  « Tu composeras hardiment des mots à l’imitation des Grecs et des Latins. » Ce conseil de Ronsard contient une demi-vérité : le mode de composition qu’il indique est bien français ; mais s’il n’eût subi la fascination des langues anciennes, il se fût aperçu que notre langue ne compose ainsi que des substantifs : pourquoi un gosier mâche-laurier est-il ridicule ? et pourquoi un presse-papiers, un essuie-main ne le sont-ils pas ? Au moins Ronsard ne veut-il pas que ces composés soient « prodigieux », mais, comme tous « vocables » nouveaux, « moulés et façonnés sur un patron déjà reçu du peuple ».

3o  « Use de mots purement français », disait Du Bellay, et il ne permettait qu’un usage très modéré et habilement exceptionnel