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poésie érudite et artistique.

devanciers, Clément Marot, Jean Le Maire, Villon. Il le fit sans hésiter. Il n’essaya jamais la chimère des vers métriques : une seule fois, il tenta de faire des vers sans rime. Du Bellay, comme lui, reconnut la rime comme un élément essentiel de la versification française : « fâcheux et rude geôlier, et inconnu des autres vulgaires ». Mais les anciens leur apprirent du moins la valeur de la technique, et leur inspirèrent la passion de perfectionner l’instrument que la langue et l’usage mettaient à leur disposition.

Du Bellay veut la rime volontaire, propre, naturelle, juste enfin « comme une harmonieuse musique tombante en bon et parfait accord ». Il la veut riche, exacte pour l’oreille, point curieuse, et point facile : qu’on ne fasse pas rimer le simple avec le composé. Malherbe ne parlera pas autrement. Et ne croit-on pas entendre encore Malherbe, et même Boileau, quand Ronsard défend de sacrifier « la belle invention » et la justesse de l’expression, c’est-à-dire la raison, à la rime ? Il proscrit l’inversion, l’hiatus, exige le repos à l’hémistiche, et ne pardonne à l’enjambement qu’en faveur des anciens qui usaient des rejets. Sur l’élision de l’e muet dans l’intérieur du vers, sur l’alternance des rimes féminines et masculines, rien de plus classique que les enseignements de Ronsard.

Mais on le sent artiste dans l’attention qu’il donne à la sonorité des vers, dans cette curieuse prière qu’il adresse à son lecteur de ne point lire sa poésie « à la façon d’une missive ou de quelques lettres royaux », dans des remarques telles que celle-ci sur la valeur sensible des sons : « A, O, U, et les consonnes M, B, et les SS finissant les mots, et, sur toutes, les RR qui sont les vraies lettres héroïques, sont une grande sonnerie et batterie aux vers ».

« Les alexandrins tiennent la place en notre langue, telle que les vers héroïques entre les Grecs et les Latins. » Voilà la vraie trouvaille de Ronsard en fait de rythme, et le grand service rendu par la Pléiade à la poésie : sous l’influence de l’hexamètre latin, l’alexandrin, création du moyen âge, et dont Rutebeuf avait montré la force et la souplesse, l’alexandrin, délaissé au xive et au xve siècle, ignoré ou à peu près de Marot, est retrouvé, relevé, remis à sa vraie place, qui est la première : ce n’est pas tant le vers noble de notre poésie, que le vers ample ; et c’est par là qu’il vaut. Ronsard a pu se repentir, et revenir dans sa triste Franciade au grêle décasyllabe : son œuvre était faite et a prévalu contre lui-même. Il avait pour trois siècles au moins donné la haute poésie à l’alexandrin.