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poésie érudite et artistique.

Nous apercevons déjà un caractère de cette révolution littéraire : la volonté y a autant de part que la spontanéité. Nous avons affaire à des hommes qui de parti pris ne veulent pas faire comme Marot et Saint-Gelais, de parti pris veulent faire comme Pindare, Horace ou Sannazar : hommes à principes, qui vont s’appliquer à n’être point vulgaires, à être bien savants. Dès le premier moment donc, quelque chose d’artificiel s’insinue dans l’excellente entreprise des novateurs : un vice primordial, tout au fond de leur esprit, menace la vitalité et, si je puis dire, la santé de leur œuvre. Il leur faudra bien de l’originalité, bien du bon sens, dans leur création de la beauté, pour ne pas se méprendre et poursuivre, au lieu du beau, le rare ou l’érudit.

Il est toujours fâcheux pour des poètes de travailler sur des théories arrêtées à l’avance, et de réduire leur génie à l’application méthodique d’un système : mieux vaut que les œuvres fassent naître les théories. Dans la réforme de Ronsard, la critique accompagna et même précéda l’inspiration : Du Bellay lança en 1549 sa Défense et Illustration de la langue française, qui est tout à la fois un pamphlet, un plaidoyer et un art poétique, œuvre brillante et facile, parfois même éloquente et chaleureuse, le premier ouvrage enfin de critique littéraire qui compte dans notre littérature, et le plus considérable jusqu’à Boileau. Ronsard, moins impatient que son ami, et plus artiste en ce sens qu’il s’efforça de réaliser, non de définir son idéal, a semé pourtant ses théories dans ses Préfaces des Odes et de la Franciade, ainsi que dans un Abrégé d’art poétique qu’il donna en 1565. En elles-mêmes ces théories n’ont rien d’aussi extravagant qu’on a dit quelquefois : dans l’ensemble, et pour l’essentiel, elles représentent assez bien ce qui s’est fait, même après Ronsard, ce qui lui a survécu pour être la substance et la forme de notre poésie moderne.


2. LES GENRES ET LES VERS.


Du Bellay et Ronsard ont à conquérir le terrain sur deux sortes d’ennemis : les ignorants et les humanistes. Contre ceux-ci, ils soutiennent qu’on ne peut égaler les anciens en leurs langues : il faut voir de quelle verve ils invectivent ces « reblanchisseurs de murailles », ces « latineurs » et « grécaniseurs » qui ont appris « en l’école à coups de verges » les langues anciennes, et croient avoir fait merveille d’« avoir recousu et rabobiné je ne sais quelles vieilles rapetasseries de Virgile et de Cicéron » : comme s’ils pouvaient faire autre chose que des « bouquets fanés ». Avec des